Grâce aux médias sociaux, le pouvoir d’expression des individus serait enfin libéré. Pourtant, une étude du Pew Research Center tempère nettement le niveau de liberté de parole atteint sur le Web. Les intervenants n’abordent les sujets qui fâchent que s’ils pensent que leur environnement partage leur avis.
Twitter, Facebook, Linkedin et consorts sont-ils véritablement des activateurs de discussions démocratiques comme il est de coutume de les dépeindre ou introduisent-ils au contraire des distorsions comportementales dans l’expression en ligne des individus ?
Le nauséabond maillot de Zara
La question peut paraître saugrenue à l’heure où les réseaux sociaux prouvent régulièrement qu’ils constituent une formidable caisse de résonance pour faire plier des marques comme dernièrement avec Zara et son nauséabond maillot à étoile jaune ou pour déclencher des élans collectifs autour de bonnes causes comme l’opération virale du « Ice Bucket Challenge » qui apporte son soutien pour lutter contre la maladie de Charcot.
En dépit de ces indéniables avancées en termes de prise de parole publique, l’agora numérique n’est pas toujours facteur de diversité ni de confrontation intelligente des points de vue. Une récente étude américaine met en évidence de très intéressants traits comportementaux.
Cette étonnante « spirale du silence »
Les réseaux sociaux ne sont pas systématiquement le réceptacle et la chambre d’écho d’opinions diverses. C’est le constat qui ressort des résultats d’une étude menée par le Pew Research Centre.
La spirale du silence
Cette étude vise à mieux cerner le fonctionnement de l’opinion publique lorsqu’il s’agit d’exprimer son point de vue sur un fait d’actualité ou de société. Les grandes lignes en ont été dévoilées le 26 août dernier. L’enquête a été réalisée auprès de 1801 citoyens américains du 7 Août au 16 Septembre 2013. Elle s’est attachée à décortiquer sur Facebook et Twitter, le concept de « la spirale du silence » élaborée par la sociologue allemande Elisabeth Noelle-Neumann.
Dans ses travaux de recherche sur les médias de masse et l’opinion publique, cette dernière avait démontré qu’un individu est plus enclin à faire valoir ses opinions si celles-ci sont globalement en accord avec son environnement proche et sociétal. Sinon, le même individu aura tendance à se taire de crainte d’être mis à l’index, voire marginalisé par ce même environnement.
La conformité des foules
Le Pew Research Centre (PRC) s’est donc interrogé sur la validité de cette théorie comportementale des foules à l’heure des réseaux sociaux où les paroles foisonnent souvent plus qu’il n’en faut. Pour effectuer ses investigations, le PRC a choisi une thématique ô combien sensible au sein de l’opinion américaine : les révélations d’Edward Snowden au sujet de l’espionnage massif de la NSA, et la réaction des Américains face aux programmes de surveillance mis en place par leur gouvernement.
Sur ce sujet clivant, un sondage de 2013 du même Pew Research Center faisait déjà état que 44% des personnes interrogées considéraient la divulgation d’informations confidentielles comme étant une atteinte à l’intérêt général là où 49% estimaient l’inverse. De plus, 37% des Américains étaient plutôt en faveur des programmes de surveillance et 52% plutôt opposés.
Le questionnaire de la nouvelle étude demandait par conséquent aux personnes du panel si elles seraient disposées à s’exprimer ouvertement sur l’affaire Snowden sur les réseaux sociaux.
Des scores édifiants
Les scores obtenus sont édifiants. A peine 43% des interviewés se disent prêts à partager leur avis sur Twitter ou Facebook pour échanger avec d’autres personnes.
La majorité des internautes sollicités se montre donc réticente à faire étalage de ses vues politiques réelles sur les réseaux sociaux. Ceci dit, les scores s’élèvent à mesure que les cercles de discussion concernent des proches, voire des intimes et que les discussions ont lieu de vive voix.
Par exemple, s’il s’agit de son environnement de travail, 66% se déclarent disposés à aborder le sujet avec des collègues. Si l’on est dans le cadre d’un dîner entre amis ou en famille, la barre des 70% est même largement franchie.
La spirale du silence s’applique
Au bout du compte, la conclusion de l’étude de PRC est que la « spirale du silence » s’applique bien majoritairement aux socionautes sur Facebook et sur Twitter. De nombreuses personnes rechignent à exprimer leur regard sur certains sujets sensibles de peur de froisser, de se retrouver minoritaire ou de brouiller sa propre image.
A l’inverse, il est intéressant de noter que cette « autocensure » individuelle peut se craqueler y compris sur les réseaux sociaux si ces mêmes personnes sentent que l’environnement épousera globalement leurs opinions.
Effet de masse
L’étude du PRC relève ainsi que les utilisateurs de Facebook sont presque deux fois plus susceptibles d’entamer la discussion sur le dossier Snowden s’ils estiment qu’un bon nombre de leurs amis Facebook partage des positions semblables.
Pour les plus fervents militants, la probabilité de s’épancher grimpe même à 2,4 à condition évidemment que l’écosystème digital abonde dans leur sens. Dans le cas contraire, c’est alors le silence qui prévaut en priorité. L’étude montre ainsi que les médias sociaux n’ont pas apporté de nouveaux forums à ceux qui auraient tu leurs opinions sur l’affaire Snowden.
Quant au monde physique, l’enquête montre qu’au travail les gens sont près de trois plus susceptibles de s’exprimer sur l’affaire Snowden s’ils pensent que leurs collègues partagent leurs opinions. Dans un dîner de famille, ils sont deux fois plus nombreux à être dans ce cas.
Des conséquences dans les rencontres physiques
La spirale du silence déborde même de l’usage des réseaux sociaux. Si les gens pensent que leurs amis sur Facebook et leurs followers sur twitter ne partagent pas leurs opinions, ils seront moins enclins à partager leurs opinions dans d’autres contextes tels que la rencontre d’amis, de voisins ou de collègues de travail.
De plus, un utilisateur de Facebook sera moitié moins susceptible de s’exprimer lors d’une rencontre physique sur le sujet sensible de l’affaire Snowden qu’un non utilisateur de Facebook. Les auteurs de l’étude indiquent toutefois manquer de données pour confirmer définitivement cette hypothèse.
Olivier Cimelière
Littéraire dans l’âme, journaliste de formation et communicant de profession, voilà pour le tableau synoptique express d’Olivier Cimelière. Olivier a 20 ans d’expérience et un parcours plutôt original dans des secteurs d’activité très variés. Expert en stratégie de communication d’entreprise et de réputation des dirigeants, il est directeur d’Heuristik Communications et anime le blog du communicant 2.0. Depuis avril 2014, il est directeur associé de l’agence d’image et opinions Wellcom.