Présidente de Schneider Electric France : « transformer une entreprise, c’est rendre les droitiers gauchers »

Christel Heydemann, Présidente de Schneider Electric France, 5 juillet

Le géant industriel Schneider Electric est en pleine transformation. Entre la transition énergétique, le digital, ses collaborateurs vieillissants, l’internet des objets et la co-innovation avec les clients et les fournisseurs, la feuille de route est bien remplie pour le groupe mondial.

En pratique, la transformation d’une entreprise, qu’est-ce que c’est ? « C’est transformer les droitiers en gauchers, dans le laps de temps le plus court, » résume Christel Heydemann, Présidente de Schneider Electric France. Elle s’est exprimée le 5 juillet, lors de la Cloud Week 2017.


Tous les personnels sont touchés


Elle pilote toutes les transformations pour la France. Chaque service de l’entreprise est remis en cause qu’il s’agisse des commerciaux, du marketing, des RH ou des ingénieurs chargés de l’innovation et de développer les produits.

Sans s’engager explicitement dans un changement de culture, car « il faut dix ans pour changer la culture d’une entreprise, et que c’est trop long, » dit-elle, Schneider Electric est embarqué dans un plan de transformation de 5 ans démarré il y a 2 ans. « Et dans la transformation, il faut des messages très très simples. Après il faut des champions à tous les niveaux. Le top management est observé. Si on dit quelque chose et que l’on fait le contraire, cela se voit, » pointe-t-elle.


« Je reviens à mon rôle d’il y a quelques années [NDLR : lorsqu’elle pilotait les RH de Nokia entre 2011 et 2013, époque des plans sociaux]. Le rôle d’un DG est vraiment celui de Chief Transformation Officer, d’accompagner toutes les transformations que nous avons, » dit-elle.

Le digital accélère la transition énergétique

« La transition énergétique est une mission. La transformation digitale n’est jamais qu’un moyen »

La transition énergétique est toutefois centrale. « La transformation digitale n’est jamais qu’un moyen qui permet d’accélérer la transition énergétique, » pointe la dirigeante. Pour autant, pas question de laisser du monde sur le bord de la route sous prétexte qu’une personne n’est pas née avec un smartphone dans la poche. Un sacré défi pour une entreprise qui en France, emploie près de 19 000 personnes, dont beaucoup ont entre 20 et 25 ans d’ancienneté.

« Chaque individu doit passer de droitier à gaucher. Cela concerne toutes les transformations, » reprend Christel Heydemann. « Cela se déroule pendant une période de temps qui doit être la plus courte possible. On doit apprendre à écrire de la main gauche. Et dans le même temps, donner du sens à tout ce que l’on fait. La transformation est quelque chose de très abstrait mais qui touche tout le monde dans les entreprises, » insiste-t-elle.

Côté transformation numérique, pas de Chief Digital Officer chez Schneider Electric. « Jean-Pascal Tricoire, notre PDG n’a jamais nommé de Chief Digital Officer, parce que c’était lui le champion du sujet. S’il ne l’avait pas été lui-même, l’entreprise ne serait pas où elle est. Il continue de pousser le sujet, d’être le premier avocat pour que tout le monde y passe, » estime la dirigeante.

Le savoir doit être partagé

En pratique, Schneider Electric mène un important chantier concernant les employés, piloté par le DRH. « Cela touche nos outils de collaboration, tous nos outils RH dont ceux d’évaluation, de partage d’informations, » liste-t-elle. Elle souligne qu’il faut prendre conscience que les données sont une monnaie. « On est dans une entreprise qui n’est pas la championne des processus, notre culture n’est pas de valoriser les process. Du jour au lendemain, la donnée, le savoir n’est utile que s’il est partagé, » illustre-t-elle.

« Pour nous le numérique est vraiment le moyen d’accélérer la transition énergétique. C’est porteur de beaucoup de positif. C’est porteur de beaucoup de droitiers qui deviennent gauchers, et c’est compliqué au quotidien, » relate la Présidente.

Le deuxième chantier concerne la relation client. « C’est plus impactant. Nous sommes des industriels, essentiellement dans le B to B, nous nous inspirons de ce qui se fait dans le commerce de détail, le retail, ou dans d’autres industries, pour améliorer la façon dont on sert les clients. On parle d’électriciens, de gros installateurs, de grands clients IT ou Cloud comme Microsoft, IBM ou Salesforce, » décrit Christel Heydemann.

Réorganiser les forces de vente

« Cela impacte l’organisation des forces de vente »

« On ne parle pas de la même façon aux grands clients qu’aux milliers d’électriciens dans le monde. Tout cela est très compliqué, » ajoute-t-elle. Cela impacte les systèmes de Marketing Automation et change l’organisation des forces de vente. « Cela pose beaucoup de questions pour nos vendeurs sur le terrain, pour nos équipes marketing. Il y a énormément de travail de formation et d’accompagnement. On veut s’assurer que tout le monde utilise le digital et que l’on va mieux servir nos clients grâce à cela, » dit-elle.

Troisième grande transformation, l’internet des objets et la création d’écosystèmes ouverts avec les partenaires, les startups et les clients. « Nous sommes avant tout des fournisseurs de systèmes industriels. Tous les produits que l’on vend deviennent connectables et connectés. Le champ d’innovation est énorme. La façon dont on doit innover remet en cause beaucoup de choses dans notre organisation, » reconnaît la dirigeante.

Après une phase d’initiatives allant dans tous les sens, de développement tout azimut d’Apps mobiles finalement peu utilisées, Schneider Electric a remis de l’ordre dans tout ça. Une architecture pour les objets connectés a été créée, baptisée EcoStruxure. Il s’agit de marier deux cultures. D’un côté, on trouve des matériels industriels prévus pour durer 20 à 30 ans, voire plus. De l’autre, il y a les services digitaux où les cycles d »innovation se comptent en semaines ou en mois. « C’est un état d’esprit différent dans les équipes, » souligne la Présidente.

Des équipes différentes pour le digital

Dans l’architecture EcoStruxure, il y a 3 couches bien définies, en bas, les objets connectables, sur la couche du haut, les services digitaux. « Et ce ne sont pas les mêmes équipes qui doivent faire les produits qui doivent durer dans le temps et celles qui doivent innover dans le monde des services digitaux, » décrit la responsable.

Mais le vrai changement est ailleurs. « Le vrai changement de comportement chez nous, c’est que l’on vient d’une culture d’ingénieur, de produit, que l’on doit garder, et que l’on doit passer dans une culture de client, comprendre comment nos produits sont utilisés par nos clients en remettant le client au coeur de nos réflexions, » reconnaît-elle. Ce qui redonne une place centrale au marketing, annonce-t-elle.

La transformation digitale impose également de co-innover avec les clients et les partenaires. « C’est ce qui remet en cause le plus de choses dans notre façon de faire en interne, » reconnaît la dirigeante.

La Digital Factory pour organiser l’innovation

« Notre Digital Factory permet de mettre des processus dans l’innovation »

Schneider Electric France a créé une organisation interne, la Digital Service Factory, qui aide ses lignes de business à apprendre, comprendre et surtout réutiliser tout ce qui est fait dans le groupe. « Cette Digital Factory est là pour aider et mettre un peu de process dans cette innovation, » insiste la Présidente.

Dans ses différents domaines d’activité, le bâtiment, le Data Center, le Grid et l’industrie, Schneider Electric souhaite créer une architecture ouverte et rendre connectables tous les objets qu’il vend et veut créer de la valeur grâce à la donnée. Le groupe est plus ou moins avancé selon le secteur.

« C’est ce que l’on fait dans le bâtiment par exemple. La valeur n’est pas dans la connectivité. Les capteurs qui sont dans un bâtiment sont déjà connectés. La vraie valeur est dans les données et ce que l’on va en faire. On ne travaille pas que sur l’efficacité énergétique, le sujet est la workplace efficiency, » affirme-t-elle.

Y-a-t-il quelqu’un dans le bâtiment ? 

« Les économies d’énergie viennent du fait que l’on doit savoir quand il y a de la vie dans un bâtiment, et à partir de là, on peut définir des nouveaux types d’applicatifs. On le fait nous-mêmes, ou on le fait avec des partenaires, ou avec des startups. Ce sont des sujets sur lesquels on apprend en marchant, » décrit la responsable. Ce ne sont pas du tout les mêmes équipes qui traitent alors ces sujets chez Schneider Electric.

Dans cet univers de co-innovation, les vendeurs sont en première ligne. « Pour nos vendeurs, la transformation c’est de passer de la vente de produits et de systèmes, à parler de valeur et d’être ouverts aux clients qui eux-mêmes vont faire venir d’autres partenaires, » s’inquiète la responsable.

Elle cite l’industrie du futur, l’industrie 4.0. « Les clients apprennent, font des pilotes, personne ne sait où on va aller mais tout le monde sait que globalement on va dans cette direction. Mais on casse les organisations, » constate-t-elle.

Phase de transition et absence de standard

« Nous apprenons en marchant dans un monde sans standard »

Les interlocuteurs deviennent les patrons d’usine, la DSI, la Supply Chain, et cela remonte très vite au Comex du client. « C’est quelque chose d’assez nouveau. On est dans une phase de transition et sans standard. Et là on travaille avec nos partenaires, parce que si l’on vend une solution qui est hostée dans le Cloud, le client va dire OK mais ce n’est pas à vous que je veux parler mais à Microsoft ou à Amazon, » reconnaît la responsable.

Face à ces révolutions, le plus grand défi, à l’heure où le temps s’accélère, c’est « qu’est-ce qui doit être global et qu’est-ce qui doit être local ? On se pose en permanence la question, » analyse la dirigeante. La France ne peut prétendre au leadership. Elle représente moins de 10% du chiffre d’affaires de Schneider Electric, l’Europe moins de 25% du chiffre d’affaires.

« Dans chacun des pays, on veut être local, en Chine, aux Etats Unis, en Afrique du Sud, etc. Et dans le monde du digital, il y a énormément de sujets qui doivent être traités globalement. Il y a des arbitrages de temps, » constate Christel Heydemann.

Global ou local, l’éternelle question 

Elle admet que la première réflexion qui vient à ses équipes c’est, « si on attend que le global fasse cela, on s’en sortira jamais, faisons le nous-même. » Néanmoins, elle sait que « si tout le monde fait ça, on ne s’en sort pas. »

« Ce n’est pas facile, on apprend comme tout le monde en marchant. On fait des erreurs, et d’ailleurs dans une culture d’ingénieur, valoriser les erreurs c’est nouveau et c’est quelque chose de pas facile. Savoir échouer, c’est vrai que j’ai quelques projets en tête chez Schneider Electric, où on aurait mieux fait d’échouer un peu plus vite. Tout cela fait partie de la transformation que l’on doit mener, et qui n’est pas facile à gérer. Le plus difficile est de faire des choix et de savoir où l’on va concentrer nos efforts, » conclut-elle.

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