Pour ses projets d’IA, Alstom conjure l’effet « usine à PoC » par l’idéation

© ALSTOM SA 2022. Olivier Schindler l Avelia Horizon™
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L’IA générative tient-elle toutes ses promesses dans les entreprises ? La réponse est loin d’être acquise et de nombreuses organisations peinent à porter leurs preuves de concept (PoC) en production. Alstom mise sur une plateforme d’idéation et sur la gestion du cycle de vie (Application Lifecycle Management ou ALM) pour ne pas tomber dans le piège des « PoC Factory ».

Face au buzz autour de l’IA générative et à la volonté des ComEx d’investir au plus vite de peur d’être distancé par leurs concurrents, le défi d’un Chief Digital Officer est de réussir le passage des preuves de concept PoC à de véritables solutions industrielles en production.



Les 5 syndromes liés à l’IA



Le premier syndrome à déjouer est celui de la « PoC Factory », ces usines à créer des démonstrateurs incapables de porter ces projets jusqu’en production, relève Mohammed Mazouni, AI Innovation and Development Executive Director chez Alstom. « En IA, on a tendance à oublier les fondamentaux du Software Engineering, or développer des IA, c’est faire du Software Engineering » affirme-t-il.

Il plaide pour le retour aux fondamentaux du développement logiciel. « Il faut écrire des spécifications, bien tester, bien intégrer la solution, etc. Si on ne respecte pas ces fondamentaux, beaucoup de défauts finissent par apparaître » prévient-il. Le résultat est que l’application finit par être abandonnée par les early adopters et la dynamique de déploiement est cassée. Il devient impossible de démontrer le retour sur investissement (ROI) annoncé.

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Etre « Technology Driven » et vouloir suivre à tout prix les évolutions technologiques est aussi un danger, considère le responsable d’Alstom. Les technologies liées à l’IA évoluent encore très vite. Après la vague d’adoption de l’IA conversationnelle avec ChatGPT, cela a été celle des RAG (Génération augmentée par la récupération) puis récemment des GraphRAG (création d’un graphe de connaissances à partir de données textuelles brutes). Il est difficile de suivre un tel rythme et d’investir lourdement dans une technologie qui risque d’être ringardisée 6 mois plus tard.


La culture du Quick-Win mise en cause

La culture du Quick-Win qui s’est imposée dans la plupart des projets est également dénoncée par Mohammed Mazouni. « Les exécutifs ont la pression des concurrents qui vont plus vite » pointe-t-il. « Et toute volonté de mettre en place un projet structurant sur 18 mois est rejetée » ajoute-t-il. Conséquence, « il faut proposer des projets de R&D de 6 mois maximum et essayer d’onboarder des collaborateurs rapidement pour obtenir un ROI pour pouvoir continuer l’année suivante et obtenir un budget supplémentaire » constate-t-il.

De même, vouloir systématiquement répliquer ce que font les concurrents sans réellement réfléchir au Business Model, à la vision stratégique de l’entreprise et à ses ressources peut rapidement conduire à des impasses. « Chaque entreprise a ses propres priorités et doit prioriser ses initiatives en fonction d’elles avant tout » préconise-t-il. Enfin, le responsable évoque le phénomène de submersion par les données ou Data Overload. Cela peut être une erreur de vouloir intégrer un maximum de données dans l’apprentissage des modèles si ces données sont mal structurées.

La qualité vaut mieux que la quantité. « Ce n’est pas parce qu’on dispose de beaucoup de données que la pertinence des modèles va s’accroître » dit-il. « Il vaut mieux avoir un dataset [jeu de données] optimisé et bien classifié et bien structuré plutôt que de disposer d’un gros volume de données mal structuré » recommande-t-il.

Un retour sur investissement difficile à prouver

La conséquence de ces 5 syndromes est qu’il est très difficile aujourd’hui de prouver un retour sur investissement sur un projet de transformation. Seulement 10% des initiatives lancées en IA quittent un jour le laboratoire et, parmi celles qui vont en production, seulement 15% démontrent les gains attendus selon les estimations de Mohammed Mazouni.

« L’étude Chaos report de Standish Group montre que les projets dépassent la durée initialement prévue d’un facteur supérieur à 2. Cela impacte le coût qui est pratiquement doublé. La surprise est qu’en fin de projet, on ne livre que 49 % de ce qui a été initialement spécifié. »

La recette Alstom : ALM, agilité et idéation

Pour faire face à ces défis, Alstom a mis en place plusieurs dispositifs complémentaires. Le premier d’entre eux est un portail d’idéation, baptisé AiLab4A. « Aujourd’hui, tous les départements veulent faire de l’IA. Nous traitons l’expression de ces besoins dans le cadre d’un portail cross-domaines bien organisé » précise le responsable sur le rôle de ce portail.

Le demandeur doit faire l’effort de bien formaliser sa demande sur le portail. Il indique s’il a un sponsor et un budget pour son projet, et à quelle population de l’entreprise cette IA s’adressera. Suite à cela, sa demande est présentée à l’AI Board qui va analyser l’idée et décider si celle-ci donnera lieu à un PoC ou pas. L’idée peut être rejetée si elle fait doublon avec un projet en cours, ou si elle n’est pas faisable techniquement. « Si l’idée est retenue, un ticket est ouvert dans un laboratoire où l’on met en œuvre des outils de type Low code » explique Mohammed Mazouni.

Le test est traité par des AI Citizens. « Le projet n’est pas mené par des experts de l’IA. Il est traité par des AI Citizens qui ont 2 à 3 mois pour démontrer l’intérêt de l’idée au travers d’un PoC » poursuit-il. « Si le PoC est concluant, le projet sera ensuite injecté dans le backlog d’industrialisation et reviendra dans les fondamentaux du Software engineering » finit-il.

Une vraie méthodologie agile pour l’IA

Très attaché aux méthodes d’ingénierie logicielle, Mohammed Mazouni prône la mise en œuvre d’une vraie méthodologie agile pour l’IA, qui comporte une phase de pré-développement avant le développement proprement dit. Le développement se déroule ainsi sur 4 sprints de 3 semaines. Un livrable est produit chaque trimestre, avec une équipe qui spécifie, une autre équipe qui code et une troisième qui teste les développements.

Le quatrième sprint se concentre tout particulièrement sur les tests d’intégration, au DevOps. « Outre la méthodologie agile, nous utilisons un ALM [Gestion du cycle de vie des applications ou Application Lifecycle Management], c’est la solution Jazz d’IBM car c’est, pour moi, le seul moyen pour faire du développement à l’échelle et de façon industrielle : intégration, gestion des exigences, intégration des modèles, etc. »

La transformation de l’entreprise est en outre impactée par le changement de génération des collaborateurs. « Les collaborateurs de la génération Z ne cherchent pas un salaire, mais un sentiment d’appartenance, une identité » estime Mohammed Mazouni, AI Innovation and Development Executive Director chez Alstom. « Ils cherchent à donner un sens à ce qu’ils font et privilégient la collaboration. Il faut favoriser une culture de collaboration et d’innovation dans l’organisation. C’est ce qui nous fera réussir notre transformation IA » affirme-t-il en forme de conclusion temporaire.

Les 5 solutions concrètes utilisées par Alstom

  • Mise en œuvre d’une méthodologie de Cultural Change & Adoption (CCA) hybride qui combine la Sociocracy 3.0 (S3) pour le volet gouvernance et la méthode ADKAR pour la conduite du changement,
  • Réduire le syndrome de la PoC Factory avec un portail d’idéation et un ALM pour la partie de l’ingénierie logiicielle, le Software Engineering
  • Aligner les projets sur la stratégie de l’entreprise pour éviter de lancer des cas d’usage tous azimuts avec des ROI non démontrés,
  • S’appuyer sur une gestion de la donnée efficace et prendre garde à la paralysie de la prise de décision faute de données pertinentes,
  • Faire levier sur l’intelligence collective de l’entreprise, mettre en œuvre la force des early adopters et des ambassadeurs pour porter la stratégie IA dans l’entreprise.

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