Piloter les médias publicitaires chez L’Oréal : un équilibre contractuel, technique et RH

L'Oréal emploie 350 personnes en lien avec les médias

Face au chaos des offres publicitaires, L’Oréal pilote l’efficacité de ses campagnes de communication en standardisant ses KPIs business auprès de ses partenaires média, en ayant recours au MMM (Modélisation du Mix Marketing) et en guidant ses équipes dans la jungle des écosystèmes Data des médias et des Gafa.

C’est un travail de fond que mène l’entité en charge des médias publicitaires chez L’Oréal, le géant des cosmétiques afin de piloter l’efficacité de ses campagnes de communication en digital, en TV ou en affichage.

Clarification et standardisation des KPIs business

Cela passe par une clarification et une standardisation des KPIs business qui sont importants pour L’Oréal et l’appui sur des dispositifs de MMM (Modélisation du Mix Marketing) afin de valider ce qui fonctionne. Cela nécessite également la maîtrise d’un certain nombre de plateformes de réalisation de campagnes publicitaires et des écosystèmes Data associés venant des différents prestataires tels que Meta, TikTok, Youtube ou Retail Media de Carrefour. 

Guillaume Goudal, Head of Media chez L’Oréal France depuis un an et demi, a travaillé en agence média pendant 18 ans

C’est la mission que mène Guillaume Goudal, Head of Media chez L’Oréal France depuis un an et demi. Il a travaillé en agence média pendant 18 ans auparavant malgré son apparence juvénile. Il a présenté la démarche de L’Oréal à l’occasion de l’événement de l’Udecam sur les nouvelles solutions de mesure, le 14 novembre. L’Udecam représente  27 agences membres, reflétant 7,6 milliards d’euros de budgets médias gérés par les agences, et employant plus de 4000 personnes.

Le premier enjeu concerne la mesure des performances des campagnes publicitaires. Afin de maîtriser son destin, L’Oréal a créé son propre référentiel de KPIs (Key Performance Indicators). « Nous avons créé notre référentiel, appelé KPI Framewok. Pas mal d’annonceurs ont ce type de référentiel. On est parti du business et on a regardé ce qui impacte notre business, ce qui impacte la construction de la Brand Equity [la valeur de la marque perçue par les consommateurs], comment on définit notre cycle d’achat. Cela de manière relativement simple pour que ce soit intelligible pour nos équipes et pour nos partenaires » décrit-il.

Guillaume Goudal, Head of Media chez L’Oréal France, le 14 novembre 2023



Collecte de toutes les métriques des régies publicitaires

Puis L’Oréal a collecté toutes les métriques qui peuvent être proposées par toutes les régies publicitaires. Ce qui a pris énormément de temps. Le groupe a commencé par la France. « Nous avons regardé ce qui est de l’ordre du KPI et ce qui est de l’ordre de la métrique. Il faut déjà faire la différence entre les deux. Il y a ce qui va vraiment impacter une campagne, et la manière dont on mesure le succès et ce qui sont simplement des métriques qui vont permettre de diriger la campagne, de l’optimiser » explique-t-il.

L’Oréal a organisé son propre KPI Framework entre « Awareness, consideration et transaction »

Le responsable illustre cette différence entre KPI et métrique par le cas d’une campagne de Brand Equity. Le rapport tombe 2 mois plus tard, et trop souvent, on voit un « clic rate » extraordinaire, décrit-il. « OK, on ne sait pas si cela a fonctionné » résume-t-il. L’Oréal a donc organisé son KPI Framework entre « Awareness, consideration et transaction » (Sensibilisation, considération et achat), avec des sous catégories et des sous objectifs. A l’intérieur, il y a des objectifs à long terme, à moyen terme, à court terme, Donc, pour un objectif à long terme, la démarche va être multi-campagnes, à moyen terme cela va être au niveau d’une campagne globale et ensuite, il y a les mesures levier par levier.

Dans cette démarche de clarification des indicateurs d’efficacité et de performance, Guillaume Goudal sait bien qu’il est difficile de comparer les mesures de différentes plateformes mais qu’il doit faire en sorte que ses équipes s’intéressent aux mesures clés. « Je sais que je ne peux pas comparer une vue TikTok avec une vue Youtube, avec une vue TV, je sais que je ne pourrai pas avoir des pommes et des pommes » reconnaît-il. « Je peux essayer de les rapprocher un petit peu pour dire j’ai une vue ici c’est 3 secondes, une vue ici c’est 5 secondes et une vue ici c’est 10 secondes. Au moins je commence à regarder et à dire à mes équipes voici ce qu’il faut aller chercher, voici ce sur quoi il faut mesurer » dit-il. Tout en rappelant qu’il y a des choses difficilement mesurables. « Si je prends une vue TikTok de 2 secondes, pour moi c’est à peine mieux qu’une impression MRC » pointe-t-il.

Partage des KPIs de L’Oréal avec les Gafa

Disposer des bons KPI c’est bien, faire en sorte que les prestataires média les utilisent pour rendre compte des campagnes publicitaires, c’est mieux. C’est que fait L’Oréal, grâce à la puissance du groupe. « Une fois que l’on a construit ce KPI Framework, nous l’avons partagé avec les partenaires média, c’est la force d’être un grand groupe, en particulier avec les Gafa » présente Guillaume Goudal. Les Gafa sont connus pour la masse de métriques qu’ils peuvent produire. L’Oréal écarte ces mesures. « A partir de maintenant, quand nous avons par exemple un objectif de Brand Equity, on indique comment on le mesure, et donc les métriques [du prestataire média] ce sera cela » tranche le responsable.

Le rapport sur la campagne par le média sera généré en fonction des objectifs du brief, avec les KPIs de L’Oréal

L’Oréal ne souhaite pas pour autant être coercitif et peut discuter, mais le plus important est de se mettre d’accord. « Une fois que l’on est d’accord, quand le brief sera écrit, le rapport sera automatiquement généré en fonction des objectifs qui avaient été mentionnés dans le brief, et ce sera ces KPIs. Tout le reste est secondaire » dit-il. La création d’un KPI Framework est un lourd travail. « C’est un énorme travail, tous les annonceurs ne peuvent pas faire cela. Cela nous permet au moins d’avoir une clarté et une visibilité en interne, et de s’assurer que tout L’Oréal avance dans les mêmes directions » se félicite-t-il.

L’Oréal a débuté la mise en place de KPI Framework avec les Gafa car ils étaient les plus durs à convaincre mais ils n’avaient pas trop le choix s’ils souhaitaient travailler avec le géant de la cosmétique. Il faut dire en outre, et Guillaume Goudal le relève, que la manière de définir le parcours d’achat et la manière de mesurer des Gafa, est en fait fonction de leurs offres publicitaires et non en fonction des besoins de L’Oréal.

Partage de la définition de la considération vue par L’Oréal avec TikTok, Meta et Youtube

Ne serait-ce que la définition de « la considération » est différente entre les plateformes des partenaires médias et L’Oréal. « Si je demande aujourd’hui à Tiktok ce qu’est la considération, la réponse sera que c’est du trafic vers le site. Pour Youtube, ce sera une vue et pour Meta c’est une vue à 3 secondes. Ils ont tous un peu raison, ils ont tous beaucoup tort » réfléchit-il. Il défend la position de L’Oréal. Le groupe va définir ce qu’il pense être la considération et même s’il n’a pas complètement raison, il pourra améliorer ce KPI. « Mais au moins à partir de maintenant on mesure les partenaires à peu près sur les mêmes niveaux » établit-il.

L’Oréal recourt beaucoup à la modélisation du mix marketing afin d’effectuer des comparaisons

Et derrière, L’Oréal recourt beaucoup au MMM (Marketing Mix Modeling). « C’est encore une chance que l’on a, pour pouvoir comparer tout cela. Et être capable de dire que les mesures sur lesquelles on travaille tous ensemble, voici ce qu’elles génèrent. C’est un énorme travail, cela nous a pris des mois. Mais une fois que l’on a cette base, les briefs sont simples, les rapports sont simples, et l’ajout de tout nouveau paramètre tels que l‘attention’ ou la ‘mémorisation’ permet de se brancher à un référentiel qui est commun » se réjouit-il.  

Dans un secteur de la publicité noyé sous la masse et la complexité des indicateurs, pourquoi L’Oréal ne partagerait-il pas son KPI framework avec l’ensemble du marché et des annonceurs afin de standardiser les mesures ? On sent la réticence chez Guillaume Goudal. « Peut être à terme, mais si je peux éviter que mes concurrents les aient demain. Le fait de l’avoir partagé avec les Gafa, on sait très bien que cela va polliniser un petit peu, tant mieux. Si je peux avoir un an d’avance c’est bien aussi pour le travail réalisé. Mais tant mieux si cela peut aider et contribuer à la discussion commune » répond-il.

Un marché de la publicité si complexe qu’il décourage les petits annonceurs

Dans ce pilotage de l’efficacité des campagnes publicitaires, L’Oréal figure parmi les groupes les mieux armés comme le reconnaît Guillaume Goudal. Il en mesure d’autant plus les défis que doivent relever des annonceurs moins puissants et relève qu’un enjeu commun est la difficulté de disposer des bonnes expertises.  « Plus cela se complexifie, plus l’impression que l’on peut avoir est que l’on n’a pas le temps de s’y mettre » s’exclame-t-il en analysant le marché actuel de la publicité.

Le MMM permet de voir ce qui fonctionne, c’est à dire ce qui génère du revenu

« Selon moi, il y a une raison pour laquelle on voit de plus en plus de MMM qui sont souvent financés par les Gafa, et qui sont demandés par les annonceurs, c’est parce que si on n’est pas capable de comparer la télévision avec Meta, ou avec le outdoor, au moins on va regarder ce qui fonctionne, c’est-à-dire ce qui génère du revenu » pense-t-il. En fait, on passe alors par la fin, par les données qui viennent des ventes en direct (D to C), des sites e-commerce, les données des distributeurs comme Carrefour, etc. « Car cela on sait que c’est vrai » souligne-t-il.  

Les personnes en charge des médias sont nombreuses chez L’Oréal. Cela représente environ 350 professionnels qui touchent de près ou de loin au média, toutes formes de média, retail média, etc. L’expérience de chacun en média s’élève en moyenne entre 2 et 4 ans. « Donc il n’est pas possible de demander à tous d’être des super média planners au moment où ils attaquent des campagnes, même quand ce  sont grandes campagnes, de plusieurs millions d’euros par vague » constate le responsable. « Même si nous voulions embaucher des super media planners, on ne pourrait pas les trouver sur le marché » ajoute-t-il.

Etre pragmatique face à la complexité des médias

C’est la difficulté à laquelle il doit trouver une réponse pragmatique. « Pour vraiment comprendre parfaitement le média, il faut quelqu’un qui a 20 ans d’expérience des média, sauf que des gens qui ont 20 ans de média dans un bâtiment de 4000 personnes, il y en a peut-être 3. Donc il faut que je sois pragmatique et je dois trouver des solutions pour faire fonctionner les deux. C’est un petit peu là où on se trouve en ce moment. Je pense que d’autres grands annonceurs auraient tendance à dire cela » déclare-t-il.

Si l’on est un petit annonceur, a priori il faut potentiellement minimiser le nombre de leviers

Le manque de ressources et de compétences oblige à réduire le périmètre des médias qu’un annonce peut utiliser, s’inquiète-t-il. « Si j’était un annonceur petit ou moyen, que je n’ai pas forcément de MMM, comment se débrouiller ? A priori, il faut faire des choix et potentiellement minimiser le nombre de leviers que l’on va utiliser sinon on ne peut pas tout faire » réagit-il.

Cette taille des équipes et leur coût deviennent d’ailleurs un enjeu même pour L’Oréal. Le groupe a évalué avec son agence Publicis depuis l’été dernier l’impact du coût humain sur le prix de revient d’une campagne publicitaire, et cela change la donne. Par le passé, L’Oréal calculait le ROI (Retour sur investissement) et le ROAS (Retour sur la dépense publicitaire) de ses campagnes publicitaires sans inclure le temps homme. « Aujourd’hui, nous sommes obligés de l’inclure » dit-il car le temps passé sur les plateformes des partenaires médias et leur écosystème afin de piloter une campagne s’accroit.

Le coût homme monte à 30% de l’investissement en retail média

« Par exemple, en Retail Media, le temps homme peut être jusqu’à 30% de l’équivalent de l’investissement média. On se rend compte que quand on calcule des ROAS, des ROI, et des ROI incrémentaux à partir de médias, si je prends le temps homme, parfois cela ne sert même plus à rien d’investir dans le média, on perd de l’argent » présente-t-il.

S’il faut trop de monde pour contrôler les médias, certains médias devront être coupés car non rentables

Il doit arriver à trouver l’équilibre entre le bon investissement et la bonne taille d’équipe. « Si les 350 personnes chez L’Oréal doivent devenir 1000 personnes pour que je contrôle bien le média, il y a beaucoup de médias que je vais devoir couper parce qu’ils ne seront pas rentables » tranche-t-il. La facilité de l’outil mis à disposition pour gérer une campagne devient très importante. Il peut même inciter à choisir un prestataire particulier qui a investi dans ces outils et leur facilité d’usage.

« Ce n’est pas l’idéal. Face à toutes les plateformes de nos partenaires, malheureusement il faut que l’on fasse des choix. On ne peut pas comprendre tous les écosystèmes. Si quelqu’un connaît bien Meta au bout de 2 ans, il ne connaît pas forcément TikTok ni la TV. Si je dois le former pour qu’il comprenne tous les écosystèmes Data, outils et leviers, je ne pourrai pas le faire d’une campagne à une autre, je vais me dire je choisis 5, 6 ou 7  plateformes ou écosystèmes, et je n’ouvre plus aux autres. Ce n’est pas non plus idéal. Donc on essaie de trouver cet équilibre » conclut-il.  


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