Pernod Ricard : les ratés et les succès de la transformation digitale d’un leader de son secteur

Pierre-Yves Calloc’h, Chief Digital Officer, Pernod Ricard

Pernod Ricard, célèbre groupe de vins et spiritueux explique ses succès et ses maladresses initiales en matière de transformation digitale et Data. L’entreprise a muri au fil des projets tels que la vente en D to C, la modélisation du mix marketing, le calcul des promotions, et l’optimisation des tournées des commerciaux par l’IA. Cela a aussi permis à son équipe digitale de monter en puissance sur la gestion de projet.

Fort de 240 marques, le groupe Pernod Ricard compte plus de 19 000 salariés et vend ses produits sur 74 marchés. Suite à de nombreuses acquisitions, le portefeuille a énormément grandi ces dernières années, ce qui n’a pas été le cas des équipes marketing et commerciales sur le terrain. « Nous avons lancé il y a plusieurs années une  transformation digitale pour aider l’ensemble des collaborateurs de terrain à gérer la complexité engendrée par un plus grand nombre de marques et de pays » explique Pierre-Yves Calloc’h, Chief Digital Officer de Pernod Ricard.

Dans cette transformation, le responsable cite des erreurs de jeunesse, mais annonce aussi des succès dans la mise en œuvre de l’IA auprès du marketing et des forces de vente. Au passage, il remet notamment en cause le schéma classique qui consiste à amasser des données, puis à chercher à les réutiliser pour espérer en tirer des bénéfices business. « C’est cette approche que nous avons suivie quand nous avons voulu impacter les consommateurs avec plus de marques et les mêmes équipes marketing, pour faire du digital marketing, par exemple. »


L’échec du Direct to Consumer

L’industriel a donc commencé en récoltant des informations sur 20 millions de consommateurs en base de données et s’est lancé dans le marketing direct afin de vendre ses produits directement aux consommateurs. « Le ‘D to C’ [Direct to Consumer ou vente en direct au client depuis le web] était très à la mode il y a quelques années. En allant vers la vente directe, nous pourrions faire du CRM avec des données client, dégager un bon retour sur investissement et faire plus de marge »  se rappelle-t-il.

Le cas d’usage du « D to C » qui semblait pourtant potentiellement intéressant était une impasse

Il s’est avéré que ce cas d’usage du « D to C » qui semblait pourtant potentiellement intéressant était une impasse. Par exemple, pour sa célèbre marque Malibu, recruter un nouveau consommateur coûte à Pernod Ricard de l’ordre de 5 €, auxquels il faut ajouter 5 € par an pour le maintenir en base de données. Dès lors un incrément (uplift) de 1 % des ventes de Malibu est insuffisant, même si c’est un objectif qui n’est pourtant pas énorme, car la marge sur une bouteille achetée 2 fois par an est inférieure à 5 €.

Le groupe a réalisé des tests avec des produits plus coûteux. « Nous avons tout de même obtenu un ROI [Retour sur investissement] sur des produits très haut de gamme, mais la marge sur le ‘D to C’ n’était pas non plus au rendez-vous » ajoute le responsable. En effet, si on ajoute le coût du packaging de l’envoi des fragiles bouteilles, la vente directe faisait moins bien en termes de marge que de passer par des retailers.



Les leçons du Marketing Mix Modeling

Le marketing est un autre domaine où le groupe a cherché à tirer bénéfice des algorithmes. Le groupe dépense 1,5 milliard d’euros en marketing chaque année et a voulu optimiser ses budgets en corrélant ses dépenses marketing aux ventes réelles. La démarche s’intitule le MMM, la modélisation du mix marketing. Le groupe disposait d’un côté de ses dépenses marketing mois par mois et de l’autre du montant de ses ventes.

« Vouloir faire du Mix Marketing Modeling sur des données mensuelles est tout simplement impossible »

« Le problème est que vouloir faire du Mix Marketing Modeling sur des données mensuelles est tout simplement impossible » déplore Pierre-Yves Calloc’h. « La bonne nouvelle est que nous avons réussi à passer sur un suivi des dépenses marketing et des ventes à la semaine » déclare-t-il.

Ce suivi plus rapproché a permis de progresser. « Cela nous a permis d’obtenir de bonnes corrélations avec des moteurs d’intelligence artificielle et obtenir de bons résultats. Nous avons internalisé un moteur de Marketing Mix Modeling que nous avons déployé sur 13 pays et que nous continuons à déployer plus largement, avec un très bon impact sur nos ventes » annonce-t-il.

Un échec transformé en succès

« Cet échec initial s’est finalement transformé en succès » se réjouit-il. Tout récemment, Pernod Ricard a décidé d’aller encore plus loin en s’associant avec Axa, L’Oréal et Nestlé autour du lancement du Think tank « Marketing Performance Hub ». Quelle leçon a été tirée de ce projet ? Il y a un constat. En mode « Run » d’une solution, en partant du flux habituel d’utilisation des données, c’est la collecte de la Data qui permet ensuite son utilisation et génère au final des bénéfices Business. En phase de « design » de la solution, c’est l’inverse. « Il faut d’abord réfléchir sur le bénéfice business que l’on souhaite obtenir avant de commencer à réfléchir à comment on va y parvenir et avec quelles données on va le faire » rappelle-t-il.

« Pour obtenir plus de ventes grâce au marketing, il faut réfléchir à comment mettre en place du Marketing Mix Modeling« 

Le MMM doit être mis en place avec l’objectif d’accroissement des ventes. «  Pour obtenir plus de ventes grâce au marketing, il faut réfléchir à comment mettre en place du Marketing Mix Modeling et sur quelles données travailler. » Ce renversement du mode de pensée va aider à définir le Business Case que l’on souhaite mettre en place, car cela permet de savoir combien l’implémentation va coûter et combien le dispositif va rapporter au moyen de benchmarks.

« Dès lors, si je décide que c’est un bon Business Case pour mon entreprise alors je vais en étudier la faisabilité. Est-ce qu’on dispose d’une donnée suffisamment granulaire avec toutes les informations nécessaires pour alimenter le cas d’usage. C’est la combinaison entre le Business Case, son ROI et la faisabilité qui va me dire si je peux le faire et quand qui va me permettre de prendre la bonne décision. »


Sur 100 idées initiales, 20 Business Case ont été étudiés, 4 programmes lancés


Dans cet esprit, Pernod Ricard s’est lancé il y a 4 ans dans une vaste revue de tous les Business Case possibles pour une société de grande consommation. Une centaine d’idées ont émergé en phase de réflexion et ce nombre a été réduit à une vingtaine de Business Case potentiellement intéressants pour le groupe.

A partir de 20 cas d’usage, 4 programmes ont été priorisés

Ces vingt cas d’usage ont été analysés en profondeur pour évaluer leur  faisabilité et de cette nouvelle phase d’écrémage, 4 programmes ont été priorisés. Au-delà de l’échec du ‘D to C’, puis l’optimisation du Mix Marketing qui s’est avéré un succès, la gestion des promotions a rapidement porté ses fruits. Pernod Ricard réalise énormément de promotions en magasin et l’idée était d’optimiser ces campagnes de promotions avec un outil développé en interne, « Vista Rev-Up ».

Ce outil optimise à la fois les promotions et les tarifs (pricing) des produits. « Cet outil part des données hebdomadaires des promotions, les données d’un certain nombre de magasins. Cela nous permet d’optimiser les calendriers et la profondeur des promotions et nous avons la capacité de mesurer les bénéfices business attendus et obtenus » décrit-il.

Optimisation des tournées des commerciaux

Le troisième succès du groupe porte sur la planification des tournées des commerciaux. Tous les lundi matin, les commerciaux recevaient une liste des points de vente à visiter dans la semaine, une recommandation essentiellement basée sur l’historique des visites, c’est-à-dire le délai depuis lequel il avait rendu visite à tel ou tel bar.

« La tournée est maintenant optimisée pour aller là où le commercial va avoir le plus gros impact« 

Désormais, c’est une IA qui concocte pour les commerciaux le programme le plus efficace sur leur zone géographique. Un algorithme génère une liste des outlets à aller visiter, qu’il s’agisse de supermarchés, de commerces de proximité, des bars et boîtes de nuit. « La tournée est maintenant optimisée pour aller là où le commercial va avoir le plus gros impact » explique Pierre-Yves Calloc’h.

« Pour chaque point de vente, notre outil D-Star lui fournit des recommandations sur ce qu’il va proposer. L’algorithme intègre beaucoup de données. Il y a non seulement les données de vente, mais aussi les promotions en cours, les données sociodémographiques des habitants qui vivent aux alentours, la proximité d’un parc ou d’une plage, etc. » liste-t-il. «  Le logiciel réalise des clusters de magasins et va calculer le potentiel de chaque magasin dans le cluster pour chacune de nos marques. Cela [cette démarche] délivre les bénéfices business attendus avec des gains de temps et des gains de parts de marché impressionnants après quelques mois d’utilisation »  se félicite-t-il.

Un outil adoré par les commerciaux

Alors qu’un tel logiciel aurait pu être pris en grippe par les commerciaux dont le savoir-faire réside dans leur capacité à convaincre, mais aussi dans leur parfaite connaissance de leur zone géographique, le logiciel va immédiatement connaître un fort taux de satisfaction. D’un côté, les commerciaux gagnent du temps dans leurs tournées, sont plus efficaces et ont plus d’impact. « De leur côté, les propriétaires des points de vente bénéficient de recommandations personnalisées et ils savent que les nouvelles références que nous leur proposons vont tourner et ne vont pas accumuler de la poussière sur une étagère » pointe le responsable.

« Je n’ai jamais vu une telle acceptation pour une nouvelle solution« 

Enfin, le consommateur est sûr de pouvoir trouver son whisky préféré dans son bar favori. « Dans mon expérience personnelle, je n’ai jamais vu une telle acceptation pour une nouvelle solution. Quand nous l’avons déployée en France, j’ai cru que j’allais pouvoir garder 10 % de la population des utilisateurs sans outils afin de pouvoir faire de l’A/B Testing et vérifier la performance de l’outil. » indique-t-il.

Mais pour une fois la volonté de changement est venu des utilisateurs. « Au bout de 3 semaines, les commerciaux sont allés trouver le Comité d’Entreprise jugeant qu’il n’était pas acceptable que tous n’aient pas accès au logiciel ! » Un signe de reconnaissance de la pertinence de l’IA sachant que certains commerciaux ont plus de 20 ans d’expérience sur leur zone.

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