Le groupe M6 a dévoilé le 6 mars sa nouvelle plateforme de streaming M6+ qui remplacera 6play en mai. Son ambition est de tripler les revenus publicitaires du streaming du groupe d’ici 2028. À l’instar de TF1+ lancé début janvier, cette nouvelle offre est 100% gratuite pour l’utilisateur car elle est financée par la publicité. L’offre de M6 doit lui permettre d’uniformiser l’intégralité de son catalogue publicitaire. Cette nouvelle plateforme a une tarification au CPM.
Pour Prachya Butsiri, Directeur Conseil chez Gamned! agence de publicité digitale, cela prouve une fois encore l’accélération du phénomène de convergence des modèles publicitaires de la télévision traditionnelle et de la vidéo à la demande financée par la publicité (AVOD). Mais on perd l’essentiel de vue. Il répond à La Revue du Digital et pointe le besoin pour des indicateurs de performance publicitaires plus macros, en prise directe avec les résultats business des annonceurs.
Question : quel est l’impact pressenti de M6+ auprès des annonceurs et qu’est-ce que ce lancement dit de l’avenir de la publicité vidéo ?
Prachya Butsiri : cela a de quoi aider les annonceurs à comparer les performances de leurs plans TV et digital et de rationaliser leurs investissements entre ces deux environnements avant les annonces de Médiamétrie prévues dans les prochains mois.
Le nouvel indicateur de Médiamétrie tant attendu, par nature intermédiaire, permettra certes une mesure unifiée, mais il s’inscrira toujours dans une approche séquentielle de l’analyse de la performance des campagnes.
Le marché tout entier doit aujourd’hui travailler sur des indicateurs plus macro, en prise directe avec les résultats business des annonceurs. Le lancement de M6+, tout comme celui de TF1+ en janvier dernier, marque une avancée significative dans la convergence entre l’univers publicitaire TV et le modèle économique digital. C’est une tendance déjà initiée par des plateformes telles que Netflix et Disney+, mais jusque-là elle était encore peu préemptée par les acteurs historiques de la télévision traditionnelle.
Question : quelles réactions peut-on attendre de la part des annonceurs ?
Prachya Butsiri : les annonceurs se doivent désormais d’être attentifs à ces évolutions pour ajuster leurs stratégies publicitaires en conséquence. L’annonce de la naissance de M6+ n’a pas été une grosse surprise sur le marché, en ce qu’elle s’inscrit dans la continuité du lancement de TF1+ en janvier. Ce lancement intervient dans une temporalité stratégique pour le groupe média, à peine plus d’un mois avant le début de l’Euro 2024. Il vient par ailleurs confirmer la tendance des grands groupes à repenser leur stratégie pour accélérer sur l’AVOD [vidéo financée par la publicité : NDLR] et offrir ainsi une expérience de streaming plus complète.
France Télévisions devrait d’ailleurs suivre cette tendance en continuant d’investir fortement dans sa transformation numérique. Le secteur télévisuel continue donc sa transformation, et les chaînes historiques évoluent en réponse aux nouveaux venus sur le marché publicitaire, tels que Netflix, Disney+ et bientôt Prime Vidéo.
Question : quel ciblage sera disponible sur M6+, en termes de données disponibles, multi-compte et géo-localisation ?
Prachya Butsiri : bien que des détails supplémentaires sont encore attendus, il est probable que le ciblage sur M6+ reprenne au minimum les options disponibles sur 6play, incluant des packs affinitaires de programmes (pack 25-49 ans, cinéma…) ainsi qu’une segmentation basée sur certaines données clés comme la démographie, la géo-localisation, les intérêts et les intentions, ou encore les comportements d’achat, comme ceux des acheteurs de produits de grande consommation via des partenaires tels qu’Unlimitail [co-entreprise entre Carrefour et Publicis : NDLR] par exemple.
Question : comment intégrer intelligemment ce nouveau canal dans un plan média vidéo ?
Prachya Butsiri : intégrer ce nouveau canal dans un plan média vidéo peut être tout à fait pertinent dans une logique de notoriété. Le replay est un format de qualité. Il offre la possibilité de toucher efficacement sa cible dans un environnement premium. Il est souvent visionné via un device TV avec un taux de complétion proche de 100%. Il peut donc être activé seul.
Il peut aussi être intégré dans un plan global comprenant des « push vidéo » en « Social Ads » et en Display, offrant un CPM moins élevé mais permettant d’atteindre un public plus large, même avec un taux de complétion plus bas. L’équilibre entre ces deux approches, replay et « social ads/display », assure ainsi la construction d’un plan média vidéo efficace.
Question : côté offres publicitaires des acteurs historiques de l’audiovisuel, y-a-t-il encore une différence avec celles des plateformes OTT comme Netflix, Disney+ et bientôt Amazon Prime Vidéo ?
Prachya Butsiri : les frontières entre la télévision traditionnelle et les plateformes OTT commencent à s’estomper avec l’évolution des offres publicitaires et l’adoption de technologies avancées. Toutefois, des différences notables subsistent, notamment en termes de réglementation, de personnalisation, de formats publicitaires et d’audiences ciblées. La personnalisation est plus avancée chez les plateformes OTT grâce à la donnée utilisateurs. Les audiences sont globalement plus larges et ultra-granulaires sur des segments spécifiques chez les acteurs historiques, mais elles sont souvent plus jeunes chez les plateformes OTT.
Question : où en est Médiamétrie sur le sujet de la mesure ?
Prachya Butsiri : La transition du GRP [Gross Rating Point] vers le CPM [Coût pour Mille] demeure prévue pour cette année. Le mode d’achat au CPM comme mesure unifiée de la consommation vidéo multi-écrans est d’autant plus importante que l’heure est à l’optimisation des budgets des campagnes.
Ce processus est facilité par la convergence des campagnes TV et vidéo en ligne, ainsi que par l’introduction prochaine d’une mesure cross-média par Médiamétrie. Toutefois, le débat sur ce passage au CPM révèle des tensions entre la volonté de moderniser et d’unifier les pratiques d’achat média et les risques liés à une simplification excessive qui pourrait nuire à la stratégie publicitaire télévisuelle. Cette évolution vers le CPM revêt donc une importance particulière à l’heure de l’optimisation des budgets des campagnes et de l’adaptation aux nouveaux modes de consommation vidéo multi-écrans.
Question : pour les KPIs publicitaires, va-t-on vers des indicateurs macro offrant une vision sur la performance globale des campagnes ?
Prachya Butsiri : beaucoup d’annonceurs cherchent à rationaliser leurs budgets publicitaires. Le marché tout entier ferait mieux aujourd’hui de mettre davantage d’énergie sur la définition d’indicateurs globaux plutôt que de se questionner à outrance sur des KPI intermédiaires tels que GRP, CPM, etc. Il faut des indicateurs plus holistiques, montrant directement l’impact d’une campagne sur le business de l’annonceur. Cette approche permet une analyse plus directe et pertinente de l’efficacité des stratégies publicitaires et de la performance des campagnes.