LVMH : « La Data Science doit être intégrée dans l’organisation »

Ian Rogers, Chief Digital Officer de LVMH

A l’heure où beaucoup de dirigeants d’entreprise parlent d’un pilotage par la donnée et de soigner la relation client, Ian Rogers, Chief Digital Officer de LVMH, trace les lignes directrices de son action chez le leader français du luxe en matière d’usage de la donnée. Il a pris la parole à l’occasion d’un événement organisé par LiveRamp, une plateforme de suivi des internautes, fin septembre.

Concilier personnalisation et vie privée

Luxe et vie privée sont synonymes. Dès lors, LVMH se positionne afin de concilier le respect de la vie privée de ses clients tout en personnalisant le service rendu. Le groupe de luxe soutient d’ailleurs le RGPD et les modifications pour un usage plus limité des cookies. « Cela protège le client et nos marques » déclare Ian Rogers. La Data Science fait l’objet d’un focus particulier à la fois pour la personnalisation qu’elle autorise et pour l’efficacité opérationnelle des maisons du groupe. La Data Science impacte l’ensemble d’une organisation, pointe le Chief Digital Officer.

« Je pense que toutes les entreprises sont des Data Company »

LVMH assume d’être une Data Company. « Je pense que toutes les entreprises sont des Data Company, la question est ‘est-ce que vous le reconnaissez ou pas ?’ » déclare Ian Rogers. Comment être une Data Company quand on est un groupe de luxe qui cultive le respect de la vie privée de ses clients ? « Ce que j’ai dit à Bernard Arnaud, il y a quelques années quand j’ai rejoint le groupe [NDLR : en octobre 2015], c’est qu’il y a une distance entre ‘on ne fait rien avec la donnée’ d’un côté, et ‘on fait tout avec les données de l’autre’, c’est-à-dire même des choses terrifiantes et qui sont questionnables d’un point de vue de la vie privée » décrit-il.


LVMH ne sera à aucune de ces deux extrémités. « Notre job est beaucoup plus compliqué, nous devons choisir où nous aimerions être en les deux » assène le CDO. Ian Rogers vient de chez Apple où il a observé le lancement d’Apple Pay, la solution de paiement d’Apple. « Apple Pay est basé sur la confiance du client. Et la confiance du client cela a plus de valeur que la donnée du client dans de nombreux aspects » retient-il de cette expérience.

Faire des choses qui bénéficient au client

En tant que groupe de luxe qui protège la vie privée de ses clients, LVMH a tendance à être beaucoup plus proche de l’extrémité où on ne fait rien avec leurs données. « Mais nous voulons faire des choses qui bénéficient au client. Le luxe et la vie privée sont synonymes. La personnalisation et le luxe sont aussi synonymes. Les clients apprécient la personnalisation et c’est bien pour les affaires également » justifie-t- il. Connaître son client est primordial pour une entreprise moderne, ajoute-t-il. « Dans les 5 à 10 ans qui viennent, vous allez voir des gens qui connaissent vraiment leurs clients se détacher du groupe de ceux qui ne les connaissent pas » pense-t-il.



« Si vous voulez faire quelque chose dont vous n’oseriez pas parler à votre client, alors ne le faites pas »

La connaissance client soutient l’expérience du luxe. « Parce que nous sommes une entreprise de clients, nous avons besoin de connaître nos clients, et c’est une part de l’expérience du luxe » confirme-t- il. « Quand vous entrez dans un magasin Dior, le service est personnalisé. Il se peut qu’ils aient retenu votre nom, le nom de votre femme, la date de votre anniversaire, etc. » détaille-t-il. « Et je ne pense pas que ce soit effrayant de mettre cela dans une base de données » dit-il. Il justifie son point de vue. « Est-ce que je me souviens des anniversaires de tous mes amis ? Non. Je mets ces dates dans mon agenda, et il me les rappelle. ‘Appelle Paul, c’est son anniversaire !’ Je pense que c’est normal et attendu » sourit-il. Comment tracer la ligne entre ce que l’on peut faire ou pas ? « Si vous voulez faire quelque chose dont vous vous dites que vous ne le révèleriez pas à votre client, alors ne le faites pas, c’est simple » conseille-t-il.

La question à se poser c’est « est-ce que cela bénéficie au client ? » « Personne ne veut être spammé, donc si je peux être plus intelligent dans ma manière de vous envoyer des emails, nous gagnons tous les deux » illustre Ian Roger. La connaissance du client s’appuie sur la Data Science. Elle s’impose de manière centrale dans l’organisation. « La Data Science doit plus que n’importe quoi d’autre être intégrée dans  l’organisation et ne pas être placée à part. Avec la Data Science, nous sommes presque dans la science expérimentale » présente le responsable. C’est-à-dire que l’on ne connaît pas le résultat à l’avance. A partir d’une masse de données, il s’agit d’y recherchez des modèles, des motifs.

La Data Science va changer la manière de travailler de l’entreprise

« Quant on démarre avec les données, on ne sait pas où on va arriver. Il n’y a pas de plan comme lorsque l’on va construire un logiciel, qui est comme une voiture ou une maison, qui ont beau être compliquées, mais on sait où cela va se terminer » compare-t-il. « En intégrant la Data Science dans votre entreprise, cela va changer la manière dont les équipes de votre chaîne logistique travaillent, la manière dont vos vendeurs en magasin travaillent. Et vous ne pouvez pas mettre la Data Science dans un coin de votre organisation, dans un silo. Cela intervient à un niveau très élevé, c’est très orienté business. Il va y avoir une différence entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas dans les 5 ans exécuté une stratégie de smart data » affirme-t-il. 


« L’IA c’est à la fois de la personnalisation pour le bénéfice du client et de l’efficacité opérationnelle pour nous »

De manière globale, l’intelligence artificielle, les données clients et les données produits sont un des focus centraux de LVMH. « L’IA c’est à la fois de la personnalisation pour le bénéfice du client ou de l’efficacité opérationnelle pour nous, en termes de quantités que nous devons produire pour un modèle, en quelles tailles, etc. des questions qui touchent à la supply chain » explique-t-il. LVMH personnalise ses sites web, les emails, … L’apport de la Data Science peut être intégré dans le processus de vente. « Si vous venez sur l’un des sites de nos marques, il est probable qu’il y ait des produits qui ne sont plus disponibles en stock, car nos quantités sont limitées. Mais nous pouvons vous proposer d’exprimer votre intérêt pour un produit en rupture et vous proposer d’être alerté quand le produit sera de nouveau disponible » débute-t-il.

« Sauf qu’en réalité, les produits ne reviennent pas en stock car comme je vous le disais nos fabrications sont limitées. Mais il se peut que nous puissions vous proposer un produit dont nous pensons que vous pourrez l’aimer car il est similaire à celui sur lequel vous souhaitez être alerté » illustre-t-il sur les apports de l’IA. Il existe beaucoup d’autres parcours clients qui sont plus spécifiques, ajoute-t-il. Plus globalement, « nous voulons investir dans l’intelligence artificielle et le Machine Learning sur des usages business réels qui s’appuient sur les données que nous possédons déjà » insiste-t-il, en disant que chaque mot compte dans cette phrase.  

Etre face au bon client dans le bon contexte média

Dans cette évolution, comment se positionne LVMH vis-à-vis des changements qui touchent la publicité en particulier avec la disparation programmée des cookies de suivi des internautes ? « Je ne m’occupe pas vraiment de la partie média mais nous gardons un oeil dessus en tant qu’équipe digitale. La question est qu’est-ce qui est bien pour le client et bien pour l’image de la marque ? Nous voulons être face au bon client dans le bon contexte média » rappelle-t-il. Il indique que LVMH accueille favorablement les changements comme le RGPD (Règlement général pour la protection des données) ou les changements dans l’architecture des cookies. « Parce que cela empêche de faire des choses que nous n’aurions pas faites de toute façon. Nous voulons vivre dans un monde où le client est protégé et en conséquence nos marques sont protégées » affirme-t-il.

LVMH travaille à la vente distance via l’application vidéo Facetime

Sur la période actuelle, avant les fêtes de fin d’année, LVMH est centré sur le commerce omni-canal, sur le développement de la vente à distance à ses clients en reproduisant autant que possible la relation existante en boutique via l’application d’interaction vidéo Facetime, la donnée et l’intelligence artificielle et le marché chinois. L’enjeu est de disposer de la machinerie nécessaire pour vendre en direct aux clients. « C’est ce qui a fait le succès d’Amazon » rappelle Ian Rogers.

Par ailleurs, l’évolution de l’expérience client demeure le défi du luxe dans cette période difficile. « Bernard Arnaud me disait que l’expérience client dans les magasins était supérieure [NDLR : à celle du e-commerce], que les magasins sont les rois, quand nous nous sommes rencontrés. Et il avait raison. Ce que nous voyons maintenant, et 2020 nous a aidé à le voir, c’est que l’on peut combiner l’expérience vidéo via Facetime et Louis Vuitton, et que c’est vraiment merveilleux » déclare-t-il. Pour lui, cette montée en puissance de la vente à distance via Facetime ou en e-commerce, va donner encore plus de valeur à l’expérience en magasin. « Je pense que dans le futur, les expériences incroyables en présentiel nous seront encore plus chères, encore plus premium. Nous désirerons encore plus ce type d’expérience. Quant aux tâches qui peuvent être faites plus rapidement depuis notre canapé, nous n’irons plus en magasin pour les faire. Au final, nous irons dans le monde pour prendre plaisir à y être » conclut-il.

La marque Céline de LVMH harmonise le digital et ses boutiques

Une vente à distance via Facetime ou Zoom

Les cartes se redistribuent entre les canaux de vente digitaux et les magasins dans l’univers du luxe. C’est ce que l’on constate à la vue de la stratégie digitale déployée par Céline, la marque de prêt à porter du groupe LVMH qui s’attache à développer une stratégie omni-canal forte. Les vendeurs de la marque utilisent Facetime, Zoom, etc.

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