L’innovation change de visage chez Carrefour avec le basculement vers la vente via des magasins franchisés et la multiplication des startups sur certaines thématiques comme la personnalisation du e-commerce. L’enjeu principal pour l’enseigne est l’agilité, tout en gardant la main sur les domaines de cœur de métier comme le pricing et en n’étant pas dupe des promesses de ROI des startups. C’est ce que décrit Emmanuel Grenier, Directeur exécutif E-commerce, Data et Transformation Digitale de Carrefour.
Les franchisés sont plus entrepreneuriaux et plus agiles
L’enjeu est l’agilité. « Je pense que le sujet d’une entreprise comme Carrefour, d’un distributeur intégré, c’est l’agilité. Et on voit bien que les franchisés sont plus entrepreneuriaux, plus agiles » constate le dirigeant faisant référence aux franchisés de l’enseigne. Au passage, il démonte si cela était nécessaire le discours sur les magasins qui auraient le pouvoir dans un groupe intégré car ils représentent le terrain. Or, c’est précisément le contraire, car les magasins doivent alors suivre les demandes du siège. Ce qui d’ailleurs vise à permettre habituellement de déployer plus rapidement une politique décidée en central.
“Il y a des sujets commerciaux et de compétition, et il y a des sujets d’agilité, on doit être plus agile”
Les franchisés se montrent plus rapides dans l’innovation que les équipes en central de Carrefour. « Il y a énormément de sujets sur lesquels ils sont plus rapides que nous. En fait, ce qu’on fait, c’est qu’on les écoute. Et ça nous sert de bassin de tests. On a eu des sujets sur les commandes en magasin. Ça paraît tout bête, mais c’est un sujet absolument cœur, le système de commandes en magasin. Les franchisés sont allés travailler avec des startups et ça nous a secoué et on a dû réagir. Ce n’est pas normal, mais c’est la réalité » reconnaît-il.
Les franchisés vont être plus pragmatiques
Le système de commande magasin est stratégique pour l’enseigne et sa conception doit absolument être pilotée en central et non par les franchisés. « On a réagi parce que c’était absolument cœur. Il y a des sujets qui sont moins cœur et sur lesquels on les laisse travailler parce qu’ils vont être plus pragmatiques, plus proches du terrain et on va s’en inspirer à la fin si cela marche. On va faire remonter ça du terrain et on va s’en inspirer pour l’étendre » décrit-il.
“Il y a des fonctions cœur. C’est l’achat, la promo, le prix, la commande magasin et les caisses”
Le recours aux franchisés et aux startups est ouvert en revanche sur les autres sujets. « Après, il y a énormément de sujets qui sont importants pour le métier mais qui ne sont pas le cœur stratégique. La tendance est plutôt de sous-traiter parce qu’on sera moins bons, parce qu’il y a énormément de bonnes techs et de startups qui sont très pertinentes et avec lesquelles on peut travailler » dit-il.
Les sujets coeur de métier sont traités en central
Dès lors, comment se répartissent les innovations entre le siège et les franchisés chez Carrefour ? « Sur les sujets cœur, si [vous êtes une startup et que] vous allez voir les franchisés, ce sera compliqué de remonter en central parce que nous avons des stratégies parties du haut sur les sujets que je vous ai déterminés » insiste-t-il. « Sur l’exemple de la commande magasin, c’est un sujet absolument critique, multi-secteurs, multi-magasin. On vient nous voir en direct » recommande-t-il.
“Le problème, c’est que des boîtes qui font la personnalisation du e-commerce, il y en a 50. Donc, il ne faut pas vous soyez la 51ème “
Le choix d’une innovation se fait alors sur les fonctions apportées. « C’est fonctionnel. C’est vraiment fonctionnel » dit-il. Comment Carrefour rassure-t-il ces petites sociétés sur le fait de ne pas leur « piquer leur idée » et refaire en interne leur solution ? Emmanuel Grenier se montre catégorique. « On est clair avec cela. Si vous êtes cœur [si votre solution touche le cœur de l’activité], on vous dira que vous pouvez nous aider mais qu’à un moment donné on reprendra la main parce que vous êtes cœur de métier. Quand vous touchez un sujet absolument stratégique, donc ça peut durer deux ans, mais à un moment donné, sachez qu’on reprendra la main » cadre-t-il.
Recherche de solutions externes sur les sujets importants mais non stratégiques
Sur d’autres sujets tels que la personnalisation du e-commerce ou le service client, on se trouve alors dans un domaine qui n’est pas le cœur du fonctionnement de l’enseigne. L’approche de Carrefour est différente. « Si vous êtes important et non stratégique, il n’y a fondamentalement pas de raison qu’on reprenne la main, sauf si à l’échelle, c’est beaucoup trop cher et qu’on se dit qu’on peut le refaire nous-mêmes, moins cher et on vous dira les choses » dit-il.
“Il faut vraiment que vous ameniez quelque chose de différent, mais pas différent à la marge”
Dans la foulée, le dirigeant souligne que Carrefour n’est pas dupe et ne croit pas un mot des promesses en matière de ROI annoncées par les startups. « On ne croit jamais les business cases que vous nous amenez. Parce qu’en fait, ils sont toujours faux. Donc, on les regarde et on sait ce dont on a besoin, mais nous expliquer qu’on va gagner des millions, et des dizaines de millions, on sait très bien qu’à la fin ça ne se passe pas comme ça » tranche-t-il.
Le coût du changement de solution est colossal pour un grand groupe
La clé est d’apporter du nouveau par rapport aux concurrents. Car si cela coûte cher pour une société d’entrer chez Carrefour en termes d’efforts commerciaux, le coût du changement est colossal chez un groupe comme Carrefour. « Donc avant de changer une solution, il faut vraiment qu’on soit persuadé qu’elle apporte vraiment une différence, qu’elle tourne à l’échelle sur des milliers de magasins et qu’à un moment donné, vous soyez capable de gérer la complexité de Carrefour » liste-t-il.
« Nous allons faire des efforts pour accueillir des startups et c’est important, mais l’entreprise a sa complexité et il faut l’accepter. On est un des plus gros employeurs de France, on est le plus gros employeur de l’Amérique du Sud, c’est comme ça. On va tout faire pour faciliter le contact, mais ne vous trompez pas, on est des entreprises assez complexes. Par contre, on fait en sorte, que ce soit le plus simple possible, mais pas de naïveté sur ce sujet-là » poursuit-il. Enfin, qui teste paie, ajoute-t-il. « S’il y a des tests, on paye. C’est terminé, le moment où on vous fait venir et on vous fait bosser pendant des mois, sans payer » conclut-il.