Digitalisation des magasins, e-commerce et IA, les trois priorités d’Emmanuel Grenier chez Carrefour

Emmanuel Grenier, Directeur exécutif E-commerce, Data et Transformation Digitale de Carrefour, 10 avril
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Emmanuel Grenier, Directeur exécutif E-commerce, Data et Transformation Digitale de Carrefour, fait preuve du calme des vieilles troupes dans la mitraille du retail. Il montre une sérénité et des réflexes éprouvés quand il s’agit de décrire sa vision de la gestion de projets techniques tout en révélant une connaissance très à jour des innovations actuelles.

Carrefour bascule vers un mode franchisé



A l’occasion de l’événement de la Retail Tech, le 10 avril, il a déroulé ses bonnes pratiques de gestion des projets informatiques, des rapports avec les startups et de la gestion du changement dans les grands groupes. Sa méthode prend en compte le basculement de Carrefour vers un mode franchisé depuis un fonctionnement intégré. Cela modifie la réactivité et la priorisation des projets digitaux et d’intelligence artificielle. La moitié du chiffre d’affaires est réalisé selon le mode franchisé. 



À la fin, 90% du business alimentaire se fait encore en magasin. Ce qui n’est pas le cas du non alimentaire”

Le digital et l’innovation sont au cœur de la stratégie de Carrefour. Emmanuel Grenier annonce trois grandes priorités pour l’enseigne. La première priorité c’est le magasin. « On parle beaucoup de l’e-commerce, mais en fait, en alimentaire, l’e-commerce fait moins de 10% du chiffre d’affaires de l’enseigne et globalement, moins de 10% du marché. À la fin, 90% du business [alimentaire] se fait encore en magasin. Ce qui n’est pas le cas du non alimentaire. Ce sont vraiment deux mondes différents » rappelle le dirigeant.

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Dès lors, le magasin est stratégique et il faut absolument garder cela à l’esprit. « La première des priorités, c’est la digitalisation du magasin, à la fois pour les clients et pour les collaborateurs » affirme-t-il. Mais paradoxe de la situation, le e-commerce arrive tout de suite après comme priorité. « La deuxième priorité, c’est le e-commerce, il fait 10% mais il croît entre 10 et 15%, alors que la partie magasin décroît en volume dans le marché depuis plus d’un an. Donc, on accompagne le e-commerce, qui est le commerce de demain » poursuit-il.


Troisième priorité de Carrefour, l’intelligence artificielle

Et en troisième priorité, on trouve une technologie : l’intelligence artificielle. « Comment on met l’intelligence artificielle au service, à la fois du magasin, du e-commerce et de ce qui se passe dans les sièges et dans les process » pose Emmanuel Grenier. Des annonces sont d’ailleurs à venir prochainement sur l’IA dans les magasins.

“Il n’y a plus de bruit dans la communication entre le métier et l’IT. C’est fondamental

Côté organisation de la transformation digitale, Carrefour s’emploie à assurer le dialogue direct entre les métiers et les informaticiens. Il a créé des Digital Factories avec systématiquement deux têtes, une tête IT et une tête métier, avec des gens du métier et des gens d’IT. « Ce qui fait qu’il n’y a plus de bruit dans la communication entre le métier et l’IT. C’est fondamental, dans une entreprise de cette taille, nous sommes plusieurs milliers au siège à Massy » rappelle-t-il.

Le cycle en V des projets informatiques est à oublier. « Il n’y a plus la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre. ‘Je te fais des cahiers des charges, tu les développes’, et après, c’est la bagarre au moment où on livre parce qu’on ne s’était pas compris. C’est fait ensemble, donc le sujet est apaisé et ça avance beaucoup plus vite. Le cœur de l’organisation est fait comme cela. Cela a été fait, il y a 1 an et demi » présente-t-il.

Etiqueter la Data est le sujet le plus complexe

Il y a des digital factories pour les grandes verticales métiers, Finance, RH, magasins, référentiels, etc. A côté de cela, il y a une entité transverse Data et Intelligence Artificielle qui aide les digital factories à mettre de l’intelligence artificielle dans leur métier. « On a commencé par organiser la data et le sujet le plus complexe dans l’organisation de la data, c’est l’étiquetage de la data » alerte-t-il.

“Il faut étiqueter cette data parce que sinon, vous vous retrouvez dans des réunions qui tournent mal

« Vous le savez tous comme moi, Quand on parle du chiffre d’affaires, par exemple, on n’en a pas qu’un. On a tous huit ou neuf chiffres d’affaires. Il est TTC, il est hors taxes, il est avec les frais de livraison, il est avec les services, sans les services, il est en commandé, etc. » illustre-t-il. « À la fin, il faut étiqueter cette data parce que sinon, vous vous retrouvez dans des réunions dans lesquelles la réunion commence par ‘On n’a déjà pas les mêmes chiffres’, donc on n’est pas d’accord sur les chiffres. Les réunions tournent mal et ça n’avance pas » prévient-il.

Cela représente beaucoup d’efforts dans toutes les entreprises et n’est pas complètement achevé chez le distributeur. « On a eu un énorme travail, mais qui n’est toujours pas terminé, d’étiquetage de la data. À partir de ce moment-là, vous pouvez l’utiliser pour faire de l’analytique et vous pouvez commencer à l’utiliser pour faire de l’IA. Parce que l’IA, si vous lui donnez de la data qui n’est par propre, elle hallucine. À la base de l’IA, vous avez besoin de la data et vous avez besoin de process extrêmement clairs » insiste-t-il.

Des traducteurs entre les métiers et les Data Scientists

Il s’agit donc de parler le même langage, que ce soit dans les équipes métiers comme dans les équipes IT. Des postes de traducteurs ont d’ailleurs été mis en place entre les informaticiens et les gens des métiers. « On a des gens dans l’équipe Data IA qui s’appellent des Data translators, qui sont là pour faire le joint entre le métier et les Data scientists » indique-t-il. «  Ce sont des matheux. Ils disent ‘ce que le métier dit c’est ça’ et ce que ‘la Data science dit c’est ça’ et ‘Voilà ce qu’on va faire’ » résume-t-il.

Vous avez le métier, vous avez l’IT, vous avez la Data IA. Ces trois types de personnes se parlent”

Ces types de postes sont indispensables parce que la traduction cela peut être complexe pour le métier en étant à l’échelle, quand vous avez des centaines de profils entre le métier et la Data science. « On a des gens qui font le pont entre les deux. Cela fait des organisations assez complexes, mais c’est lié à la taille. Vous avez le métier, vous avez l’IT, vous avez la Data IA. Ces trois types de personnes se parlent » se réjouit-il.

Côté IA, il estime que 2024 a été un point de bascule passant des tests et de la communication à la création de valeur. « Il y a eu la première période de l’IA qui était une IA de communication, de test, de POC. On faisait des choses très tournées client, avec beaucoup de communication » décrit-il. Le verdict a été que cette période est globalement terminée dans le marché. L’heure est à la création de valeur associée à l’IA. «  Il faut qu’on arrive sur des cas d’usage [de l’IA] qui s’inscrivent dans les P&L [Compte de résultat, Profit and Loss], qui apportent du résultat et qui se mettent à l’échelle » présente-t-il.

Les directeurs financiers veulent voir un impact sur le compte de résultat

Il faut dire que les directions finance de Carrefour s’impatientent. « les CFO commencent à se dire : ‘c’est très bien, mais on n’en voit pas la couleur. On ne voit rien dans les P&L. Vous nous expliquez que ça gagne, mais en fait, les lignes ne bougent pas. Par contre, les coûts bougent’ » retransmet le dirigeant.

Relancé sur la question des apports financiers de l’IA, Emmanuel Grenier précise :« Il commence à y avoir des choses. Le siège de Carrefour est quelqu’un d’exigeant, il a raison. En matière d’assortiment, il y a des gains de chiffre d’affaire relativement significatifs et vraiment calculés de manière sérieuse. Il commence à y avoir des gains sur le pricing [la tarification], sur l’assortiment et sur les achats, il y a des gains maintenant chiffrés » conclut-il, rappelant que sur ces sujets il y a des enjeux de communication financière.

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