Philippe Brochard, ancien DG d’Auchan France et aujourd’hui consultant en restructuration, est adepte de la technologie. Il défendait déjà vigoureusement la technologie lorsqu’il dirigeait Auchan France avant d’être remplacé par un nouveau DG plus proche du carrelage et des magasins, et qui a été chargé de réduire le nombre d’hypermarchés en France et de rajeunir les points de vente.
Faire à l’IA générative plutôt qu’un nouveau plan de restructuration
Or, ce hiatus entre la technologie et le « carrelage » est justement celui que Philippe Brochard met très naturellement en avant face à ce qu’il appelle l’étouffement de la grande distribution alimentaire. Pour lui, pour sauver ce secteur face aux asiatiques, il faut recourir à l’intelligence artificielle et non pas à recourir à un énième plan de restructuration.
“Toute ma vie, je n’ai fait que de la remise en performance d’entreprises dans l’industrie et dans le retail”
« C’est surtout l’alimentaire qui est aujourd’hui à bout de souffle. Et à la croisée des chemins. Je pense qu’on ne peut plus repousser ces transformations qui s’imposent à nous parce qu’en fait, il sera trop tard » prévient-il. Il fait référence aux concurrents asiatiques. « Au moment où on se parle, des entreprises de retail asiatiques divisent leur coût de fonctionnement par deux grâce à l’IA. Et évidemment, ça va rendre leur modèle économique beaucoup plus puissant que les nôtres » dit-il.
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La Revue du DigitalDans l’alimentaire, le Back to basics c’est 1% à 2% d’incrément de performance
Il pointe que les plans de performance qu’il accompagne sont tous appelés « Back to basics » par les dirigeants. « Dans le retail alimentaire, Back to basics, c’est le geste métier, sur le carrelage, la bonne gondole, la bonne promo, c’est formidable, mais c’est 1% à 2% d’incrémental de performance. La réalité, c’est qu’aujourd’hui, on a besoin de 15 %, 25%, 30% d’incrémental de performance pour pouvoir passer la barre » s’énerve-t-il.
“Nos modèles de restructuration n’apportent pas les gains de productivité nécessaires”
Pour le désormais consultant, le retail alimentaire européen fait face à une crise existentielle dans la mesure où il doit « financer l’infinançable ». « On parle de modèle économique qui délivre 1% à 3% de résultats. On a les charges qu’on connaît. Et on a aussi toutes les transitions qu’il faut savoir financer. Aujourd’hui, il faut financer des transitions écologiques avec la décarbonation et tout ce qui s’en suit, mais aussi financer les transitions numériques » décrit-il.
La gestion de la dette informatique est récurrente dans le retail
Les enjeux informatiques sont pesants. « J’étais DG d’un retailer qui pèse 17 milliards. Dans mes dernières semaines, le sujet, c’était le démantèlement des fameux AS 400. Et aujourd’hui, j’arrive dans une entreprise [le distributeur Gifi] dans laquelle le système d’encaissement est obsolète depuis 15 ans. Ça, c’est la réalité de beaucoup d’entreprises de retail aujourd’hui » livre-t-il.
“La question de la révolution technologique se pose pour générer 15%, 25%, 30%, 40% de marge de manoeuvre“
Au passage, il égratigne la manie française de réaliser des preuves de concept (POC Proof of Concept) alors que d’autres utilisent déjà la technologie. « Nous, on fait des POC » constate-t-il. Il a notamment été déstabilisé lors de sa discussion en novembre 2024, à la CCFA (China Chain Store & Franchise Association) à Shanghai avec un parterre de retailers chinois. « Pour eux, finalement, l’utilisation massive des solutions d’IA génératives, d’IA agentiques, en fait, ça fait partie de leur réalité 2025 » retient-il.
Les Français font trop de POC
« Nous, en 2025, on fait des POC. On en fait même deux, trois, quatre. Et là je discutais avec des distributeurs qui, en fait, sont en train d’appliquer 40%, 50% de réduction d’effectifs sur leurs sièges sociaux, uniquement par utilisation des technologies d’IA et en étant complètement décomplexés » déclare-t-il.
“Nous, on est très complexés quand on explique qu’on va provoquer une rupture, notamment sociale, dans nos écosystèmes d’entreprises“
Il cite l’exemple d’un acteur du retail international qui arrive en France qui maîtrise des technologies qui ne sont pas maîtrisées en France, et qui a donc des avantages concurrentiels et un modèle d’efficience plus puissant. « Le consommateur, évidemment, va en bénéficier, mais on va accélérer la disqualification de nos champions nationaux. Ça, c’est une réalité »
Les LLM sont un levier de transformation relativement simple à comprendre
Pour lui, les LLM sont des nouveaux médias et un levier de transformation. « C’est un levier de transformation réaliste et relativement simple à comprendre. Ces nouveaux médias sont capables de prendre des décisions. Ils sont capables d’échanger avec nos systèmes d’information, obsolètes ou pas, en langage naturel. Sur ces technologies, nous avons tous des cas d’usage dans nos entreprises. On touche du doigt la productivité que ça génère. Ceux qui ont eu la chance d’utiliser des IA génératives sur, par exemple, de l’exploitation de la donnée client, on comprend bien la puissance de cette analyse temps réel et ce que ça permet de provoquer comme prise de décisions à court terme dans l’entreprise » réfléchit-il.
“L’IA générative agentique, c’est bien plus puissant que le énième plan de productivité pour travailler sur l’efficience du process”
De plus, l’IA améliore l’expérience client. « Et puis, le troisième point, c’est une révolution sociale dans nos entreprises. C’est la disparition de tout un tas de tâches débilitantes, c’est la disparition des bullshit jobs. L’IA doit partir de l’humain, analyser le potentiel d’automatisation d’une tâche et centrer l’individu sur la valeur ajoutée plutôt que sur une exécution qui n’a plus d’intérêt, qui n’est plus source d’émancipation et de bénéfices intellectuels » estime-t-il.
Les acteurs publics doivent laisser les entreprises innover
L’ex dirigeant en appelle aussi aux acteurs publics, pour qu’ils laissent les entreprises s’emparer de ces technologies. « A la NRF, on a bien vu qu’on joue dans des environnements réglementaires qui sont différents et pas nécessairement propices en France à l’épanouissement de ces technologies » regrette-t-il. « Ma conviction personnelle, c’est que L’IA, n’est plus une option. Ce n’est plus une option parce que nos modèles d’économie vont continuer à péricliter et que l’énième plan de performance et progrès ne suffira pas à maintenir à flot l’activité. Je pense que ça peut être le catalyseur de la réinvention de ces vieux métiers de la distribution qui aujourd’hui sont à bout de souffle. Et je reste persuadé que l’IA, c’est l’avenir de nos emplois, de nos modèles économiques et de nos nouvelles formes de travail » conclut-il.