L’année 2025 s’annonce rude pour les équipes marketing ne serait-ce qu’en gestion du changement. C’est ce que l’on comprend à l’écoute de l’analyse du cabinet Forrester Research.
Les repères du marketing sont en plein changement
Les repères habituels sont en train de changer avec l’IA générative, qu’il s’agisse de la production de contenus, de la transformation des moteurs de recherche, de l’arrivée des chatbots conversationnels de nouvelle génération ou de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Les équipes marketing vont être aux avant-postes et sollicitées en particulier pour nourrir les algorithmes des LLM (Large Language Model), se former, utiliser de nouveaux outils ou les proposer à leurs clients.
La stratégie Data, la preuve de la valeur du marketing et la gestion de multiples partenaires sont des enjeux clés
La Data est clé et arrive en tête des projets difficiles à réaliser. « La Data c’est évidemment ce qui va nourrir l’intelligence artificielle et les algorithmes, que ce soit avec de l’IA prédictive ou de l’IA générative » explique Thomas Husson, Analyste chez Forrester Research. Il a pris la parole lors de l’événement sur le marketing digital organisé le 4 décembre par l’Alliance Digitale, l’association qui réunit les professionnels de l’Adtech et du marketing digital en France.
Prouver le retour sur investissement du marketing
Autre tâche à assumer, « il y a la capacité à démontrer la valeur du marketing, surtout en ce moment, c’est-à-dire que [le marketing] ce n’est pas un centre de coût, mais bien un centre de revenus. On peut évoquer le MMM (Marketing Mix Modeling). Ces modèles économétriques sont importants » poursuit-il. Il y a ensuite « la capacité à gérer les partenaires, qui est toujours une difficulté, parfois, avec de multiples agences, de multiples acteurs du SaaS, beaucoup de startups et puis aussi l’orchestration interne » énumère-t-il.
La difficulté de la RSE est qu’il faut transformer le modèle économique de l’entreprise et transformer les offres
Chez Decathlon, « plus d’un tiers des produits sont éco-conçus et sur tous les modèles économiques, qu’on aille sur du leasing, de la seconde main, de la location, l’objectif c’est d’avoir un chiffre d’affaires en 2026 de 10% lié à ces produits-là » chiffre-t-il. On pourra citer aussi Fnac Darty qui petit à petit s’emploie à transformer son modèle économique en évoluant vers la réparation des produits via un abonnement plutôt que leur remplacement par un produit neuf. « L’enjeu, c’est bien de piloter le modèle économique et de le faire pivoter » résume Thomas Husson.
En 2025, l’IA générative, la personnalisation et la notoriété de la marque
Ceci dit, si l’on se tourne vers 2025, Forrester Research a isolé 3 Top initiatives prévues par les responsables marketing. « Il y a cette problématique de l’IA qui ressort de manière très forte, l’IA générative. Il y a [aussi] la personnalisation et la notoriété de la marque » liste-t-il. Une nouveauté est l’ampleur prise par l’influenceur marketing. « On pense que le social commerce va vraiment décoller en Europe l’année prochaine. Ça a déjà explosé en Asie du Sud-Est » dit-il.
« On estime qu’en 2025, près de 10% des budgets de performance marketing vont basculer sur du social commerce »
Pourquoi ? « Parce que l’expérience client est en baisse. Elle est en baisse depuis 2021. Nous avons un baromètre qui mesure la valeur perçue par les consommateurs. Et c’est une opportunité fantastique pour se différencier » affirme-t-il. Il faut dire que les prix des produits et des services ont beaucoup augmenté. « Les consommateurs ont bien vu qu’ils ont moins de valeur pour le même prix » explique-t-il.
L’IA va impacter d’abord le service client, l’expérience client et le marketing
Mais l’IA dans tout cela ? « Parmi toutes les fonctions de l’entreprise, le service client, l’expérience client et le marketing sont celles qui seront les plus impactées, y compris chez les partenaires des entreprises, chez les agences, notamment » débute-t-il. Les agences sont au cœur de la transformation. « Aujourd’hui, on voit bien que quand les entreprises veulent faire seules leur production de contenu, elles ont du mal, elles ne sont pas suffisamment matures sur l’IA générative » analyse-t-il.
« Il va y avoir davantage d’outsourcing sur des agences qui investissent dans des plateformes de production de contenu »
Deuxième enjeu, le Search aussi va évoluer. « On estime que le budget va tripler pour tout ce qui est Search Engine Optimization [SEO]» dit-il. « Aujourd’hui, les grandes marques investissent des dizaines de millions d’euros dans du Paid Search. En comparaison, pour forcer le trait, dans l’ordre de grandeur, [elles n’investissent que] quelques centaines de milliers d’euros dans le Search organique et le SEO » décrit-il.
Le Search évolue de manière significative
Avec l’IA générative, le Search est en train d’évoluer de manière significative. « Il y a des nouveaux entrants, Perplexity est un acteur intéressant. Il y a des nouveaux modèles économiques qui vont arriver. Google se réinvente aussi » commente-t-il.
« L’IA générative permet d’avoir une plus grande capacité à décrypter l’intention de l’utilisateur »
En revanche, Forrester Research ne croit pas beaucoup dans « l’IA agentique » en Europe. « C’est l’idée que finalement, quand vous avez quelque chose à effectuer, une transaction, par exemple, il y a des tas d’étapes à faire et de systèmes d’informations, une cascade. Cette cascade se fait principalement aujourd’hui dans les logiciels et dans les process d’entreprise » explique Thomas Husson.
Les agents IA ne sont pas attendus pour le marketing en 2025
« Nous ne pensons pas qu’en 2025, l’IA agentique va avoir un impact sur les collaborateurs de la fonction marketing. Ça ne va pas automatiser suffisamment de tâches pour réduire la taille des équipes marketing » dit-il. De même, d’un point de vue consommateur, ça ne deviendra pas non plus une réalité. « Cela fait quand même un paquet d’années qu’on nous parle de cette logique d’agent qui, contrôlé de manière vocale, ferait tout pour vous » rappelle-t-il.
« Le conversationnel qui irait presque faire des transactions en votre nom, on n’en est pas encore là »
Si les agents IA ne sont pas pour 2025, Thomas Husson s’attend davantage à une augmentation des logiques conversationnelles. « On prédit que 20% des marques vont se lancer dans du commerce conversationnel. Il y en a déjà beaucoup qui font ça plutôt bien » s’exclame-t-il. Par exemple, le site e-commerce CDiscount a remplacé son chatbot de première génération pour lequel la satisfaction des utilisateurs n’était pas au rendez-vous, par un chatbot de seconde génération basé sur de l’IA générative.
Les chatbots de nouvelle génération ont un bien meilleur taux de satisfaction
« On a un taux de satisfaction qui est très élevé, de l’ordre de 75, 80, 85, 90, 95% parfois. Et puis surtout, on a des taux de conversion qui sont élevés. Si on peut intégrer ce petit chatbot directement sur la bonne page produit, on va avoir des taux de conversion, et c’est une moyenne, sur CDiscount, de 24% » s’étonne-t-il. « Au-dessus de 20%, quand on voit le taux de conversion sur les sites, cela donne déjà une idée du potentiel » insiste-t-il.
« Vous allez pouvoir faire du conseil à valeur ajoutée n’importe quand sur des produits un peu techniques »
Les gains de productivité ne sont toutefois pas aussi élevés que ce que certains annoncent. « On est très loin des 50% comme j’ai pu lire ici ou là. On est plutôt dans les services clients sur l’ordre de 8% en moyenne » corrige-t-il. Mais cela aura des effets négatifs sur l’emploi. « Cela va se traduire dès 2025 par des pertes d’emplois, principalement pour les outsourceurs, parce que la majorité des marques vont d’abord conserver les services clients qu’elles ont en interne » dit-il. « Mais il va y avoir des répercussions en cascade sur les outsourceurs. Forrester Research estime que 100 000 postes sont à risque dès 2025 sur le service client » pense-t-il.
Transformation du dialogue avec la marque
« L’IA générative va changer la façon dont on interagit avec les marques et avec la technologie. On est aujourd’hui, principalement sur des interfaces graphiques, des apps mobiles, des sites Web. Dans les mois qui viennent, on va basculer beaucoup plus sur des logiques conversationnelles » prédit-il. Les marques vont arrêter de faire porter la charge mentale sur le consommateur.
« L’IA générative va permettre de décrypter plus rapidement le contexte«
Dans cette voie vers l’IA générative, les équipes marketing vont également être sollicitées pour nourrir les LLM, les Large Language Models, ou aller vers des Small Language Models basés sur une marque bien spécifique. Il va falloir nourrir ces algorithmes et ces modèles avec les données spécifiques aux marques. Cela concerne tout ce qui est « ton of voice », les centaines de milliers de photos, d’images produits gérées par le marketing et tout ce qui fait le style de la marque.
Toute la connaissance des équipes va nourrir les IA
Cela concerne aussi tout ce que les équipes savent sur leurs consommateurs, sur la performance passée de leurs campagnes, les taux de conversion et tout ce qui a été historisé avec les partenaires médias et les agences, ainsi que ce qu’on appelle le « talent graph« , c’est-à-dire la capacité à prompter les compétences spécifiques des équipes.
« Ce sont des investissements qui sont conséquents, qui prennent du temps et dont les bénéfices vont s’étaler dans le temps »
Sur les cas plus avancés, on est sur de la productivité. « Là on va davantage générer un brief, générer du code. Et puis, il y a des cas d’usages un peu plus matures qui existent beaucoup. Il n’y en a pas tant que ça en production où on va aller davantage sur de la qualité, de la génération de nouveaux produits, de la génération de nouvelles expériences, mais qui vont s’intégrer dans des workflow existants, dans des outils existants. L’IA est un outil et pour ça, il va falloir former assez radicalement beaucoup des collaborateurs » annonce-t-il. Cela va prendre du temps.
La difficulté est de passer l’IA à l’échelle
Les cas d’usage en entreprise ne manquent pas pour le marketing. La difficulté, c’est de les prioriser. Et puis, c’est de passer du POC (Preuve du concept) à la production puis à l’industrialisation à grande échelle. « C’est là que la différence va se faire entre ceux qui testent dans un coin et ceux qui ont les moyens de déployer à l’échelle. Le fossé va se creuser entre les uns et les autres » relève Thomas Husson. Sur cette voie, il y a cependant beaucoup de freins, d’obstacles, en particulier sur la data, le respect de la vie privée et les enjeux de sécurité.
« On parle trop d’IA générative et vous allez avoir un retour sur l’IA prédictive »
« On n’a pas besoin de l’IA générative pour tout. Et surtout, il va falloir former les collaborateurs, développer la confiance » conseille-t-il. Illustration de ce changement des agences qu’implique l’IA, il cite Publicis. « Son plan IA, c’est 300 millions de dollars. Sur ces 300 millions, il y en a 50 qui vont à la formation des collaborateurs » conclut Thomas Husson.