L’Autorité de la concurrence annonce ce 19 décembre, la sanction, pour un montant total de 611 millions d’euros, d’ententes verticales sur les prix entre dix fabricants et deux distributeurs dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des produits de gros et de petit électroménager.
Le but des ententes était de contrer la montée en puissance de concurrents en e-commerce. L’enquête de l’Autorité de la concurrence met en évidence des méthodes de quasi mafieux afin de maintenir des prix plus élevés et de stopper l’émergence de distributeurs concurrents sur internet. Cette enquête rappelle le travail effectué par l’Autorité de la concurrence pour sanctionner l’entente qui avait bloqué le digital dans les tickets restaurants (415 millions d’euros d’amende) et sanctionner le boycott des startups digitales par des transporteurs routiers (500 000 € d’amende).
Des ententes entre 2007 et 2014 pour contrer la concurrence du e-commerce
En ce qui concerne l’électroménager, les ententes ont été mises en œuvre entre février 2007 et décembre 2014. Selon l’Autorité, elles avaient pour objectif de maintenir des prix de vente plus élevés, notamment face à l’émergence de distributeurs alternatifs vendant sur internet concurrents de ceux disposant de magasins.
Les entreprises sanctionnées sont dix fabricants, BSH, Candy Hoover, Eberhardt, Electrolux, Whirlpool (en tant que successeur d’Indesit), LG, Miele, SEB, Smeg, Whirlpool et deux distributeurs, Boulanger et Darty. Dix de ces douze entreprises n’ont pas contesté les faits et ont passé une procédure de transaction.
Les pratiques d’entente ont été révélées notamment via plusieurs indices transmis par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Elles ont donné lieu, en 2013 et en 2014, à des opérations de visite et de saisie et en 2015 à une demande de clémence déposée par des sociétés du groupe BSH. En 2016, des faits relatifs à des pratiques d’entente sur les prix horizontale entre des fabricants d’électroménager ont fait l’objet d’une procédure distincte et ont conduit à une décision de décembre 2018, sanctionnant dix entreprises d’une amende de 189 millions d’euros.
Les fabricants mettaient en oeuvre des mesures de rétorsion
En ce qui concerne l’amende de 611 millions d’euros, les dix fabricants et les deux distributeurs concernés avaient mis en place des pratiques verticales de fixation du prix de vente de détail. Plus précisément, les fabricants communiquaient des prix de détail aux distributeurs et contrôlaient leur bonne application. Ils n’hésitaient pas à recourir à des mesures de rétorsion comme du retard et des arrêts des livraisons, la mise en place de systèmes de ventes exclusives, etc. envers les distributeurs qui refusaient de se conformer à ces consignes de prix.
Ces pratiques ont éliminé la concurrence intra-marque au moment du développement de la vente sur Internet, empêchant les consommateurs de bénéficier de prix plus attractifs pour l’achat de leurs produits de petit et gros électroménager.
Entente entre fabricants et distributeurs pour lutter contre le e-commerce
L’Autorité décrit la fin des années 2000 comme marquée par l’essor de la vente en ligne, notamment pour les produits de petit et gros électroménager. Dans ce contexte, dix fabricants (BSH, Candy Hoover, Eberhardt, Electrolux, Indesit, LG, Miele, SEB, Smeg et Whirlpool) se sont entendus, chacun individuellement, avec leurs distributeurs, et notamment les deux plus importants d’entre eux, Darty et Boulanger, pour maintenir des prix de vente artificiellement élevés.
Les fabricants et leurs distributeurs « traditionnels » vendant principalement en magasin souhaitaient ainsi limiter l’émergence de sites Internet qui commercialisaient des appareils électroménagers à prix « cassés », tout en garantissant des marges élevées aux distributeurs actifs sur les canaux de distribution traditionnels, notamment en magasins.
Les fabricants imposaient aux distributeurs l’existence de magasins
Plusieurs distributeurs exclusivement actifs sur internet comme WebAchatFrance ou Maismoinscher ont témoigné auprès de l’Autorité du fait que les fabricants ont, dès 2009, mis en place des systèmes de distribution sélective qui imposaient par exemple aux distributeurs l’existence de « magasins en dur » ou qui interdisaient la vente de certains produits sur Internet. Les références concernées, qui ne devaient donc pas se trouver sur Internet, étaient regroupées sous le terme de « blacklist ».
Plusieurs distributeurs ont fait état d’une volonté générale des fabricants et fournisseurs de mieux contrôler les prix de vente au détail de leurs produits. Les fabricants, qui étaient conscients qu’ils n’avaient pas le droit de contrôler les prix de revente de leurs produits, recouraient à « un langage codé » pour dissimuler les consignes de prix. Ils associaient de façon systématique à toutes leurs références un prix « conseillé », qui était compris par les distributeurs comme un prix à respecter.
Abonnement à des outils de relevés de prix sur internet
Les fabricants et les fournisseurs surveillaient – parfois quotidiennement – le respect, par les distributeurs, des consignes de prix de revente de leurs produits. Cette surveillance s’effectuait par le recours à des abonnements sur des outils de relevés de prix sur Internet, afin de leur garantir une veille efficace.
Par ailleurs, les fabricants et les fournisseurs contactaient, souvent de manière orale, leurs distributeurs afin de leur demander de remonter les prix de revente. L’objectif était de réduire autant que possible les différences entre les prix pratiqués par les distributeurs traditionnels et ceux sur Internet. Plusieurs distributeurs en ligne précisent que les fabricants recourraient parfois à des réunions physiques car les fabricants avaient « peur d’être enregistrés au téléphone et se méfiaient des emails ».
Utilisation de sous entendus auprès des distributeurs
Cette pression constante sur les distributeurs afin qu’ils respectent les prix « conseillés » se faisait par l’utilisation de sous-entendus : « si tu veux recevoir le produit, tu sais ce qu’il y a à faire » ; « il y a un nouveau produit qui vient de sortir, si tu en veux… ».
L’Autorité déclare qu’en cas de non-respect du prix de revente conseillé, le distributeur pouvait subir des mesures de rétorsion, comme l’arrêt ou la menace d’arrêt des livraisons ou encore l’interdiction de vente de certaines références, sauf à respecter le niveau de prix de revente qui lui était indiqué.
Les distributeurs participant pleinement aux ententes
L’Autorité souligne que les distributeurs traditionnels dont les deux principaux, Darty et Boulanger, participaient pleinement à ces ententes, souhaitant essentiellement « préserver la valeur de leur vente » en étant assurés que les produits qu’ils vendaient ne se retrouveraient pas significativement moins chers ailleurs, et notamment en ligne.
Ces distributeurs n’hésitaient pas à contrôler leurs concurrents et à demander aux fabricants d’agir en cas d’importants écarts de prix. Darty et Boulanger pouvaient même exiger des compensations en cas d’écarts constatés afin de pouvoir s’aligner sur les prix des concurrents sans réduire leur marge. Ils demandaient aux fabricants une « compensation de marge » sous la forme d’une baisse de leur prix d’achat net pour les produits concernés ou pour des achats futurs.
Contrôle des autres distributeurs par Darty et Boulanger
L’Autorité estime que ces distributeurs, par leurs poids, auraient pu être en mesure de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles mais au contraire, Darty et Boulanger ont appliqué les consignes de prix, leur permettant ainsi de préserver leurs marges, et ils ont aussi exercé un véritable contrôle des autres distributeurs.
Ces distributeurs n’hésitaient pas à désigner auprès des fabricants ceux qui ne respectaient pas les prix conseillés. Ainsi, à titre d’exemple, dans le cadre d’une négociation commerciale avec un fabricant, Boulanger soulignait la nécessité de « se met[tre] d’accord sur le positionnement à tenir sur le produit ».
La politique commerciale de Darty comme ligner directrice
L’Autorité indique que plusieurs distributeurs en ligne confirment le poids de ces deux distributeurs historiques et leur influence sur le comportement des fabricants : « la politique d’alignement était essentiellement liée à la politique commerciale de Darty qui avait plus de 20% du marché de la distribution ».
L’Autorité souligne que les parties utilisaient un langage codé car elles étaient pleinement conscientes du caractère anticoncurrentiel de leurs pratiques et cela dans un contexte de développement des ventes en ligne d’électroménager, ce qui aurait dû permettre aux consommateurs de bénéficier de la baisse des coûts de distribution.
Disparition des concurrents sur internet
Selon l’Autorité, les pratiques ont contribué à fragiliser le secteur de la distribution, en renforçant le poids des principaux acteurs en place et, à l’inverse, en pénalisant certains distributeurs souhaitant pratiquer des prix attractifs, dont l’activité a pu être contrecarrée par les mesures mises en œuvre par les fabricants et fournisseurs.
À ce titre, l’Autorité reprend les estimations d’un distributeur qui déclare que la très grande majorité, environ 95 %, des distributeurs présents en ligne au début des pratiques ont disparu ou ont été rachetés par les distributeurs traditionnels.