Le satellite, espion permanent des agriculteurs français

Christophe Beeuwsaert, agriculteur dans l'Oise, 24 janvier sur CNews

On pensait que les nouvelles technologies facilitaient la vie des agriculteurs, on découvre qu’elles contribuent à leur ras le bol. Au moment où ils barrent les routes en cette fin janvier, beaucoup d’agriculteurs citent la surveillance permanente dont ils font l’objet par satellite et se plaignent du travail de justification administrative récurrente que cela leur impose. Ils s’expriment au micro de CNews, ce 24 janvier.

Des clichés des parcelles tous les trois jours

Le suivi des parcelles par satellite est effectué tous les trois jours. Les clichés permettent aux autorités de suivre les opérations menées dans les champs. Christophe Beeuwsaert, agriculteur dans l’Oise, explique la surveillance dont son travail fait l’objet. « On nous impose pour l’environnement de mettre en place une inter culture quand on fait la récolte du blé avant de mettre une culture le printemps d’après » débute-t-il.

« On n’est pas contre mettre en place une inter culture, mais  on est contre que l’on nous fixe une date« 

Cette inter culture est surveillée de près. «  On n’est pas contre mettre en place une inter culture, mais  on est contre que l’on nous fixe une date, le 1er septembre. Même s’il pleut pendant deux mois, on doit avoir semé le premier septembre. Que ce soit la pluie qui nous empêche ou que ce soit la sécheresse qui fait que les graines ne lèvent pas, parce que ce n’est pas simplement le semis qui doit être effectué, mais la levée » détaille-t-il.

Les contrôleurs veillent et sont aidés par le satellite et l’intelligence artificielle. « Ils viennent contrôler si la graine a bien levé, et si ce n’est pas levé, vous avez une amende, Le contrôle est accentué également parce qu’aujourd’hui on est contrôlé par des satellites. Tous les 3 jours une photo est faite, ils mettent l’intelligence artificielle qui est justement capable de voir si les graines ont germé, si elles ne sont pas levées, sanction » dit-il.

Blocage d’une autoroute par les agriculteurs (Janvier 2024)



Remplir un dossier administratif pour se justifier

Il reprend et modère son propos. « En tout cas, on doit faire un dossier administratif, pour prouver que l’on n’a pas semé parce que c’est trop humide, ou que ce n’est pas levé parce qu’il n’a pas plu, et que la graine n’a pas germé » poursuit-il. Cette justification administrative permanente irrite. « Ce n’est qu’un exemple parmi toutes les règles, toutes les normes. C’est le ras le bol, parce que l’on doit toujours expliquer,  pourquoi on a le droit de faire cela, pas le droit de faire cela » relève-t-il.

« Nos parcelles sont contrôlées tous les 3 jours, pour savoir si c’est semé, pas semé, si les épandages de fumier ont été faits »

« Au bout d’un moment on ne sait plus ce que l’on a le droit de faire ou de ne pas faire.  Et c’est une pression morale.  Aujourd’hui 40% de mon temps c’est de l’administratif » termine-t-il. Toutes les actions sont suivies pointe également Marine Payen, agricultrice dans l’Oise. « On est contrôlé tous les 3 jours, il y a un satellite qui passe au-dessus de tout le territoire tous les 3 jours, cela veut dire que toutes nos parcelles sont contrôlées tous les 3 jours, pour savoir si c’est couvert, si c’est semé, pas semé, si les épandages de fumier ont été faits, pas faits , etc. » précise-t-elle.

La pression apparaît permanente; « Sur mon exploitation, on a été contrôlés cinq fois l’année dernière, par différents organismes » constate-t-elle. « Ce qui est compliqué c’est que tous les matins, on sort de chez nous, on ne sait même plus si on est en règle, avec les différents calendriers, les différentes réglementations » déplore-t-elle. « On ne sait même plus si on a le droit, si on peut, si on ne peut pas. Un coup c’est par rapport à la PAC, par rapport à la directive nitrates » illustre-t-elle. « On a un satellite au dessus de nos têtes qui prend des photos de tout ce que l’on fait. On a tous les jours cette pression sur les épaules » regrette-t-elle.

La surveillance encadre les actions des agriculteurs


On retrouve ce même sentiment d’encadrement trop strict chez le vice président de la coordination rurale des Ardennes qui présente son organisation comme étant le 2ème syndicat après la FNSEA. « On nous surveille avec des satellites » commence-t-il. Cette surveillance interdit toute initiative. Il illustre son propos avec le cas de l’épandage de lisier et de fumier qui doit avoir lieu à période, fixe. « Il vient de pleuvoir pendant 3 mois. C’était pendant la période où on pouvait épandre les effluents d’élevage, le fumier, le lisier sauf que l’on ne pouvait pas rentrer dans les champs en tracteur » décrit-il.

« Ce n’est plus dans le bon sens paysan. On ne nous fait pas confiance« 

La période d’épandage vient de s’arrêter. « Il vient de geler,  on pouvait rentrer dans les champs, on pouvait épandre sauf que l’ion n’est plus dans la période d’épandage » poursuit-il. .Il a demandé une dérogation à son département, sans obtenir de réponse. Des agriculteurs ont cependant procédé à des épandages malgré tout. « Ils s’y sont risqués parce que les fosses à lisier débordent. Ah bien, on a été contrôlés par satellite. Comment on fait ? Ce n’est plus dans le bon sens paysan. On ne nous fait pas confiance » se désole-t-il.

Tout cela impose de se connecter à l’informatique afin de justifier ses actions. Les agriculteurs du 21ème siècle se débrouillent avec l’informatique mais ils saturent face à l’accumulation des tâches administratives. C’est le cas de Charles, céréalier dans l’Oise. « Avec mon frère, nous avons fait des études, on a un bac plus 3. Nous sommes aguerris à tout ce qui est informatique, déclarations, etc, » présente-t-il. « Et aujourd’hui, on est sonnés, abasourdis, par toutes les normes, les charges de travail informatiques qu’il faut sans cesse pratiquer au quotidien. Sur notre déclaration PAC [Politique Agricole Commune], on s’est trompé en traçant un trait sur une carte d’une dizaine de mètres, on nous a supprimé nos aides pendant 3 mois » se désole-t-il.

Le mot de la fin est pour Patrice agriculteur. « La plus grosse revendication aujourd’hui, c’est les contraintes administratives, entre mars et décembre, on a été contrôlés 5 fois, dont un cinquième contrôle qui s’est mal terminé parce que l’on s’est fait aligner » conclut-il, tristement.

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