Une sévère controverse vient d’opposer Timothy Egan, journaliste au New York Times et David Tovar (en photo ci-dessus), directeur de la communication du distributeur Walmart. Suite à un article très critique publié par le premier, le second a répliqué en parlant d’allégations fausses et s’est servi de fact-checking sur le blog de son entreprise. Olivier Cimelière, directeur d’Heuristik Communication analyse les erreurs commises par le Dircom.
Journaliste et éditorialiste au New York Times, Timothy Egan a jeté un pavé dans la mare le 19 juin dernier en rédigeant une longue tribune sur l’impact que Starbucks et Walmart ont en matière d’inégalités sociales aux Etats-Unis. Dans un pays où certaines études économiques estiment qu’un Américain sur 3 vit aujourd’hui au niveau du seuil de pauvreté, l’article était de toute évidence sujet à cristallisation d’autant plus qu’il pointait deux mastodontes économiques qui font souvent de l’emploi un argument de valorisation de leurs activités d’entrepreneur et de leur responsabilité sociétale.
Une charge éditoriale sévère
Pour évoquer le creusement des inégalités sociales aux USA et les mécanismes à l’œuvre, Timothy Egan a choisi de s’appuyer sur les exemples de Starbucks et de Walmart. En toute logique puisque les deux enseignes fournissent des emplois à des centaines de milliers d’Américains du fait de l’extrême densité de leurs magasins sur tout le territoire national. La symbolique porte d’autant mieux que les deux entreprises revendiquent elles-mêmes régulièrement leur rôle citoyen en permettant à des personnes d’avoir accès à l’emploi et à s’insérer ainsi dans la société et subvenir aux besoins de leur famille.
Si dans son article, Timothy Egan est relativement clément avec Starbucks, il n’en est pas de même avec Walmart. Ce n’est certes pas la première fois que le géant de la distribution est sous le feu de la polémique pour des questions de ressources humaines. Pénibilité des tâches, niveau faible des rémunérations, discrimination syndicale sont autant de controverses récurrentes qui entachent la réputation de Walmart dans les médias et sur les réseaux sociaux.
En ce sens, la tonalité du papier de Timothy Egan ne diffère donc guère du sentiment général à l’égard du distributeur. En revanche, le journaliste épingle sévèrement à plusieurs reprises l’entreprise en arguant que celle-ci constitue une machine à engendrer plus de pauvreté. Pour argumenter, le chroniqueur du New York Times cite par exemple les niveaux de salaires pratiqués par Walmart. Il se réfère à des études où le salaire minimal d’un employé de Walmart est de 8,81 dollars alors que le salaire minimal légal moyen est de 11 dollars et que Walmart lui-même prétend payer ce même salarié à hauteur de 11,83 dollars (1). Pour le journaliste, ce niveau indécent de rémunération conduit directement les salariés concernés à devoir quémander des bons alimentaires auprès des organismes de charité et d’assistance publique, aggravant du coup le coût des budgets sociaux de l’administration américaine.
Walmart voit rouge
Le moins qu’on puisse dire est que la mise en cause du journaliste est mal passée chez Walmart. Dès le lendemain, David Tovar, directeur de la communication de l’enseigne, sonne la charge. A ses yeux, il est hors de question de laisser sans réponse les arguments chiffrés de Timothy Egan qui relèvent selon lui, de l’approximation calomnieuse. Pour renvoyer la balle, il choisit d’utiliser un levier journalistique dont le New York Times se fait le chantre depuis des années : le fact-checking ou la vérification drastique des faits et des chiffres. Autrement dit, il s’agit d’arroser publiquement l’arroseur.
Pour s’assurer d’un maximum d’impact, le dircom de Walmart a alors l’idée de scanner l’article de Timothy Egan et de le corriger de manière manuscrite et à l’encre rouge à la façon d’un instituteur rectifiant les erreurs d’un élève. Le tout étant largement mis en avant sur le blog de l’entreprise et viralisé ensuite comme il se doit. Tous les arguments jugés litigieux sont systématiquement assortis de commentaires additionnels mais aussi de jugements de valeur sarcastiques que ne renierait pas un professeur tatillon.
Retour à l’envoyeur
La démarche originale aura au moins atteint un but : celui de ne pas passer inaperçue. La virulence des propos du dircom combinée à un humour mordant a rapidement suscité une flopée d’articles dans tous les médias américains. Mais pas forcément avec les effets escomptés par le communicant de Walmart. Au lieu de s’esclaffer sur la bonne leçon infligée au journaliste, la majorité des observateurs stigmatise d’une part le ton offensant adopté pour la circonstance mais également le recours à de nouveaux arguments eux-mêmes sujets à caution.
Ainsi, quand Walmart affirme être l’entreprise contribuable la plus importante en termes d’impôts versés au fisc américain (plus de 6 milliards de dollars selon l’enseigne), Mark Gongloff, journaliste économique au Huffington Post reprend le distributeur de volée en citant notamment une étude du Wall Street Journal montrant que les sociétés américaines les plus imposées sont respectivement Exxon Mobil, Chevron, Apple et Wells Fargo. Ce même journaliste enchaîne avec une autre étude émanant d’Americans for Tax Fairness estimant que Walmart entraîne un surcoût budgétaire de 6,2 milliards de dollars pour le gouvernement du fait du niveau de pauvreté dans lequel vit une majorité de travailleurs de Walmart. Lesquels requièrent des subsides d’Etat pour survivre.
Quelles leçons en tirer ?
Vouloir répondre à des inexactitudes publiées par un journaliste n’est pas en soi répréhensible. Il est même généralement conseillé de ne pas laisser essaimer des erreurs majeures pouvant à terme impacter durablement la réputation de l’entreprise ou affecter son cours boursier.
Pourtant, beaucoup de communicants et de dirigeants renoncent souvent. En revanche, le recours à la réplique doit être rigoureusement évalué et ne pas découler d’un simple coup de sang épidermique.
C’est précisément là où le bât blesse dans le cas de la réaction du directeur de la communication de Walmart. En plus d’adopter un ton fleurant la condescendance, David Tovar a mené sa vigoureuse contre-offensive avec des arguments spécieux qui au final, n’ont fait qu’empirer les choses. Non seulement les commentateurs ont été nombreux à s’emparer du sujet qui aurait sans doute pu rester confiné entre quelques initiés et les lecteurs du papier.
Mais ils se sont en plus employés à démonter point par point la ligne de défense affichée par Walmart.
Résultat : l’entreprise ne sort pas grandie de cette passe d’armes où sa dialectique a été prise largement en défaut. Pis, la polémique vient une nouvelle fois conforter l’idée que Walmart est décidément une société guère regardante sur les conditions salariales de ses employés de terrain et totalement allergique aux critiques. Dans ces cas-là, mieux vaut garder profil bas et faire le dos rond plutôt que de se livrer à d’arrogantes leçons de fact-checking qui en fin de compte se sont retournées intégralement contre la réputation de Walmart.
Sources
(1) – Timothy Egan – « The Corporate Daddy » – New York Times – 19 juin 2014
(2) – David Tovar – « Fact-check : The New York Times Corporate Daddy » – Blog officiel de Walmart – 20 juin 2014
(3) Mark Gongloff – « Fact-checking Walmart’s fact-check of the New York Times » – The Huffington Post – 24 juin 2014
(4) Ibid.
Olivier Cimelière
Littéraire dans l’âme, journaliste de formation et communicant de profession, voilà pour le tableau synoptique express d’Olivier Cimelière. Olivier a 20 ans d’expérience et un parcours plutôt original dans des secteurs d’activité très variés. Expert en stratégie de communication d’entreprise et de réputation des dirigeants, il est directeur d’Heuristik Communications et anime le blog du communicant 2.0. Depuis avril 2014, il est directeur associé de l’agence d’image et opinions Wellcom.