Le digital se mérite, il ne s’achète pas


Face aux réseaux sociaux, la question est désormais comment agir comme il faut ? Réponse : être digital c’est accepter d’être partie intégrante d’un écosystème collaboratif et non plus le nombril du monde. 

Expert du numérique et auteur américain de l’ouvrage de référence « Socialnomics, Digital Leader & Crisis », Erik Qualman a coutume de planter le décor au sujet des médias sociaux de la manière suivante : « Nous n’avons pas à choisir si oui ou non nous devons être sur les médias sociaux. La question est comment bien le faire ? ».

Etablir une conversation


Là réside effectivement tout le challenge posé par les médias sociaux aux organisations plus habituées à délivrer des messages moulés à la louche en fonction d’une boîte à outils donnée qu’à établir de véritables conversations avec leurs publics. Etre digital, c’est donc accepter d’être partie intégrante d’un écosystème collaboratif et non plus le nombril du monde qu’il faut révérer.

Marques et entreprises ne sont pas restées les bras croisés avec l’avènement des médias sociaux. Selon une étude de Netbooster en juillet 2012 sur les annonceurs et les réseaux sociaux, 91% d’entre eux sont présents sur Facebook, 67% sur Twitter et 56% sur YouTube.


Autorité

Ces observations sont corrélées par l’édition 2013 du « Digital Influence Report » de Technorati, moteur de recherche américain spécialisé sur les blogs et les régies publicitaires numériques. Ce rapport fait particulièrement autorité dans le monde du numérique par l’ampleur de son champ d’investigation.

Le panel comprend  6000 influenceurs, 1200 consommateurs et 150 professionnels du marketing. Bien qu’il soit centré uniquement sur les USA, le rapport n’en est pas moins pertinent sur les tendances du moment et celles à venir tant les Etats-Unis ont généralement une longueur d’avance en matière d’usage et d’intégration des médias sociaux dans les stratégies de communication.

Adopter les médias sociaux : oui mais comment ?

A la lecture du rapport Technorati, l’évidence se confirme. Les médias sociaux ne sont plus regardés comme une « terra incognita » par les marques et les entreprises. 91% sont implantées sur Facebook. Réseaux sociaux

Quant à Twitter et YouTube, ils sont à 85% et 73% de marques actives. Ensuite, on note un léger décrochage pour les autres outils sociaux à disposition : 41% pour Pinterest, 33% pour Linkedin, 32% pour les blogs, 29% pour Instagram et 26% seulement pour Google +.

Portion congrue pour les médias sociaux

Côté investissements, les budgets consacrés au numérique commencent également à devenir significatifs avec 30% d’annonceurs qui consacrent annuellement entre 1 et 10 millions de dollars sur ces canaux et 22% d’entre eux qui dépensent entre 10 et 25 millions de dollars dans le numérique.

La barre des 100 millions de dollars n’est toutefois franchie que par 10% des annonceurs. De plus, à regarder de plus près la ventilation des sommes dépensées, un paradoxe saute aux yeux dans le coup de sonde opéré par Technorati.

Les médias sociaux sont réduits à la portion congrue car ils ne captent que 10% des montants globaux alloués au digital. Le reste est majoritairement attribué au display, aux bannières et aux autres formats publicitaires, au référencement et à la production vidéo. Des canaux où la dimension conversationnelle est moindre.

Le digital : plus qu’un énième canal de communication

C’est toute l’ambiguïté actuelle des communicants et des dirigeants. Une majorité d’entre eux est convaincue d’être bonne et pertinente sur le digital au simple motif qu’ils ont ouvert une page Facebook ou un fil Twitter, qu’ils ont mené une campagne de display ou qu’ils ont intégré dans leur équipe, une jeune geek bidouilleur(se) né(e) avec une souris dans la main et du code HTML 5 dans les neurones.People

Dans les années 2000, pareil paradoxe avait déjà vu le jour avec l’émergence des premiers sites Internet.

Pour beaucoup, l’enjeu d’un site équivalait d’abord et surtout à transposer en ligne ce qui existait par ailleurs sur les supports physiques.

D’où une luxuriance de sites plaquettes certes créatifs mais pas particulièrement attractifs et même quelquefois compliqués à naviguer. Tous ou presque négligeaient une dimension pourtant essentielle procurée par l’adoption d’un site Web : l’opportunité de renforcer et d’affiner son CRM (Customer Relationship Management). Cette notion de lien social était déjà en germe à l’époque et pourtant elle fut largement évacuée au profit des éternels réflexes de la communication « top-down ».

Etre présent ne suffit pas

Sur les réseaux sociaux, un scénario similaire est en train de se rejouer. Etre présent ne signifie pas pour autant comprendre et intégrer tous les mécanismes qui concourent à une communication efficace dans ce cyberespace parfois déroutant et mouvant.

L’étude Netbooster révèle notamment que les motivations des annonceurs pour poser un pied dans le 2.0 découlent de trois objectifs terriblement vus et revus : faire connaître la marque, créer du trafic en acquérant des fans et dynamiser l’image.

Traduit autrement, il ne s’agit ni plus ni moins de décliner les recettes du bon vieux spot TV dopé aux points GRP dans l’environnement digital des consommateurs. Dans cette optique, les médias sociaux ne sont perçus que comme un canal de communication supplémentaire où il faut être vu, amasser du clic et en déduire d’improbables corrélations financières.

Halte au dopage numérique

FacebookConséquence de cette vision restrictive et purement numéraire du Web social : des dérives ont commencé à se produire.

Depuis quelques années, certains comptes de marque, d’entreprise, d’agences de communication ou de figures politiques se font régulièrement pincer en flagrant délit ou fortement suspectés de « dopage numérique » à grands coups de profils bidons et d’achat de fans plus ou moins réels.

Objectif : gonfler les supposées interactions avec les espaces digitaux à soi et se voir ainsi attribuer rapidement le sacro-saint brevet d’influenceur numérique patenté.

Fred & Farid

Spécialiste des stratégies numériques, le blogueur Cyroul s’agace régulièrement de ces écarts qui dévoient l’esprit intrinsèque des réseaux sociaux. Fin 2011, il avait notamment dénoncé la supercherie à laquelle l’agence de publicité Fred & Farid s’était livré sur Twitter pour apparaître comme une agence en pointe sur les problématiques digitales.

L’histoire commença avec une augmentation fulgurante du nombre de followers du compte Twitter de l’agence. En l’espace de 5 jours, 5000 nouveaux abonnés étaient venus s’agréger sur le fil. Un bond d’autant plus surprenant qu’aucune actualité particulière, ni grosse information n’avaient été tweetées par ce compte.

Le mass following

La martingale fut rapidement éventée par Cyroul. Pour lui, l’agence se livre au mass-following, une technique qui consiste à gonfler mécaniquement le nombre de followers sur son propre compte. Cyroul explique (1) : « Première constatation : on trouve beaucoup de japonais (xmmxme, mihawk_bot, lisetteweltall), ce qui est assez étonnant pour une agence publicitaire française. Deuxième constatation, on trouve des gens qui ne sont pas japonais mais qui ont des noms étranges (watchfilmonline, vitabellawine, focusBMI) ».

Autre type de tricherie repérée par l’œil implacable de Cyroul : le trafic de fans. Dans un billet particulièrement bien renseigné, il pointe notamment une start-up du nom de Boostic. Celle-ci a fait du « dopage » d’audience sa véritable spécialité et un lucratif fonds de commerce.

Acheter de vrais fans

Elle n’hésite d’ailleurs pas à claironner dans une vidéo de son site qu’il « faut adopter Boostic.fr et faire couler ses concurrents » en achetant des vrais fans ! Cyroul est atterré par cette espèce d’ « EPO digital » pour booster les indicateurs d’un profil social (2) : « Boostic vous propose des packs très intéressants : sur Facebook, 99€ les 1000 “j’aime”, 780€ les 20.000. Sur Twitter, 99€ les 500 abonnés, 890 € les 10 000. Sur YouTube, 999€ les 100.000 vues pour votre vidéo buzz virale qui ne buzze pas. Si c’est pas économique ça, moins cher qu’une campagne TV pour un ROI nettement plus avantageux ».

Ecouter plutôt que chasser le « like »

Outre le fait que ces approches soient bien peu éthiques, celles-ci sont également symptomatiques d’une incapacité de certains communicants et managers à appréhender plus finement la culture digitale et les véritables attentes des internautes. Voire symptomatiques d’une psychorigidité tenace à s’extirper de la philosophie éculée mercantile où le « like » devient la nouvelle devise de référence pour mesurer son succès et son influence sur les médias sociaux.

Supervision réseaux sociauxLes attentes du corps sociétal envers les marques et les entreprises ont profondément mué avec l’essor des médias sociaux.

Le communicant ou le manager qui imagine encore pouvoir convaincre avec du déclaratif enjoué et du ROI en folie, a clairement tout faux. Sur le Web 2.0, les internautes attendent autre chose que des démonstrations invocatoires.

D’après le livre blanc de l’agence de relations publiques Lewis en octobre 2012, 70% des internautes visiteraient plus souvent des sites de marques s’ils trouvaient des informations de fond. 81% aimeraient par ailleurs que des experts indépendants aient tribune libre sur ces mêmes sites. Ces deux chiffres indiquent à quel point le recours au blabla publicitaire et au prêchi-prêcha institutionnel est à ranger aux archives.

Recueillir les avis des consommateurs

Pourtant, le décalage persiste comme le met en évidence l’étude Netbooster sur les leviers d’intérêt les moins cités par ces mêmes annonceurs au sujet des réseaux sociaux. Ainsi, tester des nouvelles idées, recueillir des avis de consommateurs et assurer une présence corporate ne sont pas jugés comme des axes fondamentaux sur les réseaux sociaux.

Autant dire que l’on n’a pas encore de point de rencontre entre les attentes « conversationnelles » des internautes et la motivation purement « ROIste » des annonceurs. Il devra pourtant se produire sous peine de subir des crises et des échecs coûteux en termes de réputation et d’argent.

Le digital se mérite, il ne s’achète pas

LikesCette frilosité à s’extraire des approches communicantes unilatérales souligne de surcroît qu’il reste encore du chemin à parcourir.

Les marques et les entreprises doivent s’impliquer davantage dans la conversation avec leur écosystème et moins dans la promotion intensive, façon bonimenteur.

La bouillie corporate

De mieux en mieux informé, le citoyen-consommateur entend recevoir des entreprises autre chose qu’une bouillie corporate et pubarde tellement aseptisée qu’elle en devient indigeste. Les nouveaux compas de la communication du 21ème siècle sont désormais un désir de plus grande objectivité, une diversité des opinions et un dialogue entre gens égaux.

C’est de la durabilité et de la qualité de la confiance du lien établi avec les acteurs de la médiasphère numérique que l’entreprise pourra tirer un indéniable avantage concurrentiel. Et non en accumulant les fans sur les pages Facebook ou les « followers » sur Twitter comme on empile des kilos de patates dans sa cagette à ROI. Le nombre ne justifie en rien la pertinence de l’engagement entre une entreprise et son écosystème.

Sources

(1) – « Fred et Farid font du mass-following de bots pour jouer les influents » – Cyroul.com – 16 décembre 2011
(2) – « Comment acheter de l’influence sans se fatiguer ? » – Cyroul.com – 13 décembre 2011

Olivier Cimelière

Littéraire dans l’âme, journaliste de formation et communicant de profession, voilà pour le tableau synoptique express d’Olivier Cimelière. Olivier a 20 ans d’expérience et un parcours plutôt original dans des secteurs d’activité très variés. Expert en stratégie de communication d’entreprise et de réputation des dirigeants, il est directeur d’Heuristik Communications et anime le blog du communicant 2.0. Depuis avril 2014, il est directeur associé de l’agence d’image et opinions Wellcom.

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