L’Adtech française veut rester optimiste malgré les dégâts du RGPD sur ses revenus publicitaires


Après le durcissement des consignes de la Cnil sur le recueil du consentement des internautes pour être suivis sur un site web, plusieurs acteurs de l’Adtech tirent un premier bilan de l’impact sur les revenus publicitaires. Les professionnels sont concentrés sur des chantiers d’expérimentation de solutions techniques alternatives. En 2022, il leur faudra en outre être prêts face à la disparation des cookies tiers voulue par Google.

Entre 10% et 15% des internautes refusent leur consentement

Quel a été l’impact des nouvelles consignes de la Cnil sur le recueil du consentement des internautes au suivi publicitaire ? « Depuis que cela a été mis en place, on mesure que 10% à 15% des audiences vont aller vers ce choix de refuser  [NDLR : le dépôt de cookies] ou de continuer sans accepter [NDLR : le dépôt de cookies]» déclare Sébastien Moutte, Président d’Opti digital, spécialiste de la publicité programmatique. Il a pris la parole à l’occasion d’une table ronde organisée par The Programmatic Society, début mai.

Les solutions de publicité contextuelle sont fondées sur le contenu de la page consultée par le lecteur

Face à l’absence de consentement au suivi par cookies de l’internaute, des solutions alternatives de publicité contextuelle sont proposées. Elles sont fondées sur le contenu de la page consultée par le lecteur. Opti Digital intervient auprès d’éditeurs afin de tester ce type de solutions. Le résultat obtenu est de 50% à 60% par rapport à une solution publicitaire basée sur les cookies, si l’on comprend bien Sébastien Moutte.

« Nous avons a réussi à mettre en œuvre des solutions qui au niveau des rendements pour 1000 pages vues d’un éditeur, qui a l’habitude d’utiliser ce critère pour connaître sa rentabilité, sont proches de 50% à 60% sur ces environnements où l’utilisateur va continuer sans accepter de donner son consentement » dit-il. Ce sont des résultats qui sont loin d’être aussi bons que lorsqu’un utilisateur donne complètement son consentement, souligne-t-il. « Mais je trouve que c’est un bon début et c’est assez encourageant pour la suite » veut-il croire.

La publicité contextuelle n’apporte pas la même capacité en volume que les cookies

Le groupe de presse Prisma, poids lourd de l’édition avec des titres comme Capital, Gala, Télé loisirs, Femme actuelle, Geo ou Voici, a également mené des tests sur l’usage de la publicité contextuelle. Prisma est un acteur majeur d’internet. Il se situe à la sixième place des audiences internet en France en avril 2021. Le groupe atteint 36 millions de visiteurs uniques (VU). Il rivalise avec Google (52 millions de VU), Facebook (49 millions de VU), et le groupe le Figaro (39 million de VU). « Sur le contextuel, les premiers résultats que nous avons c’est que cela n’apporte pas la même capacité à livrer beaucoup de volume [NDLR : d’impressions, de pages vues, de lecteurs] » répond sobrement Paul Caucheteux, directeur commercial programmatique chez Prisma media solutions.

Avec les cookies, il suffit que l’internaute vienne visiter 2 ou 3 pages, pour pouvoir le cibler des dizaines et des dizaines de fois

La technique de la publicité contextuelle apparaît très contraignante. Le responsable de Prisma donne comme exemple le cas d’un annonceur qui souhaite cibler les internautes qui ont un « intérêt immobilier ».  Il compare « intérêt immobilier » géré avec des cookies et « intérêt immobilier » géré sur des pages précises d’un site web. « Nous avons beaucoup moins de volume sur les pages précises parce qu’il faut être là au moment ‘t’ où l’internaute arrive. Alors que pour l’intérêt immobilier [NDLR : au sens large], il suffit que l’internaute vienne visiter 2 ou 3 pages chez nous, pour que ensuite peu importe son parcours utilisateur, on puisse le cibler des dizaines de fois » décrit-il.

Dès lors, en ce qui concerne le contextuel, Prisma propose à ses clients annonceurs d’aller un peu au-delà. « C’est-à-dire que l’on remplace ‘intérêt immobilier’ par ‘les gens qui aiment bien la marque Capital par exemple’. C’est moins précis évidemment, mais cela nous permet d’avoir du volume » dit-il. Autre alternative aux cookies, on trouve l’usage d’identifiants pour suivre les internautes.

Des problèmes de volumes aussi avec l’usage d’identifiants

Là aussi, le souci actuel est d’atteindre des volumes suffisants. « Nous avons  mis en place depuis 3 à 4 ans des solutions avec des identifiants avec Liveramp et d’autres solutions. Et ce que l’on voit, c’est qu’il y a un niveau d’engagement [NDLR : des internautes] qui est bien au-dessus. Alors il y a des problématiques de volume, mais nous sommes au début de l’histoire. Tout le monde ne va pas se loguer sur ce genre de plateforme » reconnaît pour sa part Augustin Decré, directeur régional d’Index Exchange et membre du bureau de l’IAB (Interactive Advertising Bureau) France.

Une régie pour continuer de croître devra apporter le plus de volume, consenti, non adbloqué, etc.

Plus stratégiquement, quels remèdes pourraient préserver les revenus publicitaires des éditeurs ? Paul Caucheteux de Prisma pointe la nécessite de délivrer du volume. « J’ai l’impression que dans ce marché, il y en aura de plus en plus pour les gros et que ce sera plus compliqué pour les plus petits. La régie qui sera capable de continuer sur des taux de croissance intéressants, sera la régie qui pourra apporter le plus de volume, consenti, non adbloqué, etc. » décrit-il. Il plaide pour l’union des éditeurs face aux géants américains du secteur. « Si tous les éditeurs veulent avoir du poids par rapport à ce genre d’acteurs, forcément il faut travailler ensemble » pense-t-il. Pour atteindre les volumes nécessaires, il faut des rapprochements entre les éditeurs.  

Solution à court terme, Prisma a mis en place un « cookie wall » afin d’indiquer aux internautes qui refusaient le consentement au dépôt de cookies qu’ils devaient s’abonner. « Notre cookie wall a choqué certains internautes. Ce sont des débats très sains. Nous expliquions que si l’internaute vient sans accepter le consentement, on ne gagne pas assez d’argent pour continuer notre activité. C’est important que les internautes le sachent » souligne-t-il, mentionnant que selon une étude, 1 Français sur 2 n’a pas conscience que c’est la publicité qui finance les sites web. « Nous avons un gros travail d’éducation » relève-t-il.

Cette année sera consacrée aux expérimentations

Pour lui, 2021 sera l’année des expérimentations en matière de nouvelles formes de monétisation des inventaires digitaux. Et en 2022, il pourra donner les premiers résultats de ce que Prisma a voulu mettre en place sur l’usage des identifiants, le contextuel, et peut être aussi sur les cohortes de Google. « Nous sommes assez optimistes sur la capacité des acteurs de ce marché à s’adapter » déclare pour sa part Sébastien Moutte. Quant à Augustin Decré, il souhaite que le lecteur soit mieux traité. Si le nombre d’impressions publicitaires monétisables baisse, « c’est parce qu’il y a plus de bloqueurs de publicité et parce qu’il y a des gens qui ne veulent pas donner leur consentement. Il y a peut être des choses à faire pour réengager avec l’utilisateur pour que la publicité puisse jouer un rôle majeur dans l’écosystème » analyse-t-il.

La situation actuelle s’explique par le désamour de l’internaute par rapport à la publicité. « L’utilisateur est probablement la personne que l’on a oubliée. C’est quand même le désamour de l’utilisateur par rapport à la publicité. Et réengager avec l’utilisateur, lui faire comprendre que la publicité c’est important pour lui, pour sa liberté, si il veut avoir accès à un internet gratuit, c’est capital » commente-t-il. « Nous avons oublié que l’internaute est la clé de voute de notre industrie. Et on ne lui a pas dit qu’il allait gratuitement sur internet grâce à la publicité. Il faut que l’on soit plus explicite. Et la publicité doit être de qualité » prévient-il. Au final, l’écosystème de l’adtech doit s’adapter. « Il faut que l’on s’adapte. Il y aura probablement une multitude de solutions » conclut-il.

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