Deux applications de diffusion de flux vidéo en direct, Meerkat et Periscope, agitent l’écosystème des réseaux sociaux. Ces outils diffusent instantanément une action en train de se dérouler à l’ensemble de sa communauté sur Twitter. La communication digitale se transforme.
En l’espace de quelques semaines, Meerkat et Periscope sont devenues deux applications phares du moment. La première a connu son heure de gloire en mars lors du festival high-tech South by Southwest (SXSW) à Austin au Texas. A peine dévoilée aux participants que déjà des célébrités américaines se ruaient comme Madonna, l’acteur « geek » Ashton Kuchter ou le rappeur Snoop Dog pour faire de Meerkat leur app favorite.
500 000 utilisateurs
Un plébiscite payant puisque la jeune pousse techno israélo-américaine revendique plus de 500 000 utilisateurs et surtout une levée de fonds de 14 millions de dollars accomplie le 25 mars (1) où des personnalités comme l’acteur Jared Leto ou le co-fondateur de YouTube, Chad Hurley ont généreusement mis au pot.
Ce succès foudroyant a incité Twitter à hâter le pas pour lancer dans la foulée, un concurrent frontal à Meerkat : Periscope. Fruit d’une acquisition stratégique réalisée en janvier 2015, l’application pousse un cran plus loin le concept de diffusion live de séquences vidéo captées sur le vif.
A la différence de Meerkat qui ne propose que du flux immédiat, Periscope permet aux internautes de commenter les images diffusées en direct ainsi que de les revoir durant 24 heures. Là aussi, l’application a recruté des fans prestigieux comme Arnold Schwarzenegger et l’astronaute canadien Chris Hatfield, particulièrement connu pour avoir abondamment utilisé les médias sociaux lors de son séjour dans la station spatiale internationale en 2013.
Une viralité foudroyante
Plus fort que les éternels plateaux live et souvent vides d’action de BFMTV, Periscope n’a guère tardé à être consacré comme un média à part entière.
A l’instar du tweet qui annonça la primeur de l’amerrissage d’urgence d’un Airbus sur la rivière Hudson à New York en janvier 2009, Periscope a vite connu son premier fait d’armes le 26 mars, encore à New York.
Ce jour-là, l’explosion d’un immeuble dans le quartier d’East Village est retransmise en direct depuis le smartphone d’un passant ayant téléchargé Periscope. Avant même que les équipes de télévision ne soient sur place, les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux et sont commentées par plus de 600 internautes inquiets pour d’éventuelles victimes (2).
Nicolas Sarkozy en temps réel
Quelques jours plus tard, c’est en France que Periscope entre à nouveau dans la danse. Au soir du 29 mars, date du deuxième tour des élections départementales, un membre de l’équipe de campagne de l’UMP filme et diffuse en direct quelques minutes de l’allocution du président de son parti, Nicolas Sarkozy. Le temps réel semble définitivement affirmer son emprise sur la communication et l’information.
A vrai dire, des brèches avaient déjà été ouvertes précédemment par des applications comme Vine et Snapchat. Grâce à des formats vidéo ultra-courts, un internaute pouvait filmer un sujet donné et le partager l’instant d’après avec tout ou partie de sa communauté. Devant l’écho positif rencontré par ces applis d’un nouveau genre, Twitter avait d’ailleurs racheté la start-up Vine en 2012 pour proposer des pastilles vidéo de ralentis sportifs pendant un match de football ou de basket-ball.
Voir en temps réel
Mais avec Meerkat et Periscope, les internautes assistent en direct à l’événement au lieu de devoir patienter quelques minutes. L’un des fondateurs de Meerkat, Ben Rubin, n’a carrément pas hésité à parler de « spontaneous togetherness » qu’on pourrait traduire par « ensemble spontanément» pour qualifier le phénomène.
Convaincu que le vidéo streaming live est parti pour s’imposer durablement, Ben Rubin est catégorique (3) : « Ces technologies permettent aux individus de se connecter à un groupe plus large, peu importe la localisation physique des uns et des autres dans le monde. Ces applis offrent un nouveau canal pour partager des expériences et de l’information brute, honnête et non censurée. Et ça, c’est vraiment excitant ». Sur leur blog, les géniteurs de Periscope vont encore plus loin dans leur vision en déclarant tout bonnement (4) : « Nous voulions créer quelque chose le plus proche possible de la téléportation » !
Evolution ou révolution ?
Depuis que Meerkat et Periscope ont posé un pied dans les boutiques d’applis (pour l’instant seule une version iPhone est disponible tandis que la version Android est annoncée imminente), les exégètes thuriféraires abondent.
L’un d’entre eux est Dan Pfeiffer, ancien conseiller de Barack Obama. Face à ces flux vidéo en direct d’un nouveau genre, il prédit un potentiel disruptif immense (5) : «Imaginez si vous pouviez voir à travers les yeux d’un manifestant en Ukraine ».
L’élection américaine impactée
Selon lui, ces deux applications pourraient même (6) « changer l’élection présidentielle américaine de 2016 comme Facebook a changé celle de 2008 et Twitter celle de 2012 ». Quant aux médias qui se retrouvent en fin de compte à nouveau challengés, il juge que (7) « ces applis pourraient faire à la télévision ce que les blogs ont fait aux journaux en faisant tomber leurs avantages financiers et structurels ». Rien que ça !
Sans peut-être aller aussi loin que Dan Pfeiffer, il est évident que Meerkat et Periscope repoussent les limites et bousculent les lignes de la communication et de l’information. Même si ces applis venaient à disparaître, les usages leur survivront quoiqu’il advienne.
La croissance des smartphones
Le pli va rapidement être pris à l’instar du succès que les capsules vidéo de Vine et Snapchat continuent de rencontrer. Cette perspective est d’autant plus forte que le parc mondial de smartphones est en constante progression chez les utilisateurs.
En 2014, on dénombrait 1,3 milliards de terminaux de ce type dans le monde selon le cabinet d’analyses IDC (8). Les projections des experts établissent qu’à l’horizon 2016, la barre des 2 milliards sera atteinte (9). De même, la consommation vidéo en ligne est appelée à poursuivre sa progression. Face au poids énorme que pèse notamment YouTube, l’appétence des internautes pour les formats vidéo n’est plus à démontrer. Tout concourt à ce que Meerkat et Periscope, voire d’autres acteurs, s’insèrent dans l’écosystème des médias sociaux.
De sacrés enjeux communicants à relever
Pour les communicants comme pour les journalistes, le vidéo streaming live induit plusieurs transformations.
La première d’entre elles a déjà été largement esquissée avec la diffusion en direct de l’incendie de l’immeuble new-yorkais et la conférence publique de Nicolas Sarkozy.
Ce qui était déjà largement à l’œuvre avec la diffusion de tweets pendant la révolution iranienne de 2009 ou encore le printemps arabe de 2010 va inexorablement s’accroître dès lors que des applis de vidéo streaming live permettent de retransmettre des événements depuis l’intérieur de ceux-ci. Les « journalistes citoyens » ou les « insiders » disposent désormais d’un outil sacrément puissant pour rompre le silence ou contourner les versions officielles.
Défi pour les politiques
Pour les dirigeants et les figures publiques, ce genre d’applications représente même un sacré défi. Si le « off » devient maintenant quasi utopique. Souvenez-vous par exemple du député Lionel Tardy qui en mars 2010, retranscrivait sur Twitter les débats houleux du groupe UMP à l’Assemblée nationale après la débâcle des élections régionales. Imaginez le même contexte avec désormais un smartphone capable de diffuser live et avec des images et du son !
Pour les entreprises, les enjeux sont également sensibles. A l’heure où les lanceurs d’alerte ne reculent plus devant aucune révélation, la donne communicante s’en trouve substantiellement chamboulée. Plus question de capitonner et d’échafauder des argumentaires calibrés sans intégrer le fait que certaines discussions peuvent être visibles instantanément de milliers de paires d’yeux connectés !
La communication en question
Cette transparence accrue complexifie grandement la communication. L’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy en a d’ailleurs fait illico les frais en « periscopant » le discours de leur champion politique à l’issue des élections départementales.
Elle avait effectivement omis que les internautes avaient la possibilité de réagir également en direct. Or, à la lecture des commentaires déposés, ce qui devait apparaître comme une opération de communication à la pointe, s’est transformée en ring verbal où les twittos ont méchamment égratigné l’ancien chef de l’Etat. Pas sûr au final que cela fût l’idée initiale des militants que de susciter une avalanche de critiques et de sarcasmes à l’encontre du n°1 de l’UMP !
Une nouvelle ère s’ouvre
Autre point sensible induit par Meerkat et Periscope : le besoin de modération face à l’immédiateté brute de décoffrage des images livestreamées.
Si les bonnes âmes pudibondes ont aussitôt songé à la pornographie comme dérive potentielle n°1 de ces applis, il est une autre faille plus dangereuse que les galipettes : la propagande des organisations terroristes.
Al Qaida, Daech et autres sinistres groupuscules ont largement démontré leur agilité à exploiter les réseaux sociaux pour d’une part recruter des troupes et d’autre part, claironner leurs massacres. Aujourd’hui, doit-on redouter que la prochaine exécution sanguinaire sera diffusée en direct sur les réseaux sociaux ? L’hypothèse doit inciter les éditeurs d’applis à aller bien au-delà des pieux discours sur l’autorégulation des communautés connectées.
En dépit des questions délicates que soulèvent Meerkat et Periscope, il n’en demeure pas moins que ces outils constituent d’indéniables avancées. Pour les médias, il s’agit d’une source supplémentaire pour collecter des informations et de les croiser et vérifier au préalable, comme le font déjà le New York Times ou le Guardian. Quant aux communicants, il s’agit d’une opportunité pour promouvoir l’idée du dialogue avec les parties prenantes plutôt que les ficelles ou le déni frontal qui occulte la réalité. Une chose est toutefois acquise : la communauté des « streameurs » est aujourd’hui avérée.
Sources
– (1) – Nicolas Rauline – « Streaming vidéo : Meerkat, l’application-phare déjà menacée » – Les Echos – 30 mars 2015
– (2) – Timothy Stenovec – « Why you should care about Periscope, Twitter’s new live-streaming app » – The Huffington Post – 26 mars 2015
– (3) – Ryan Holmes – « Why Meerkat and Periscope are the biggest things since, well, Twitter » – Linkedin Influencers – 27 mars 2015
– (4) – Nicolas Rauline – « La guerre fait rage pour la diffusion de vidéos en direct sur le Net » – Les Echos – 30 mars 2015
– (5) – Ibid.
– (6) – Ibid.
– (7) – Ibid.
– (8) – Timothy Stenovec – « Why you should care about Periscope, Twitter’s new live-streaming app » – The Huffington Post – 26 mars 2015
– (9) – « 2 Billion Consumers Worldwide to Get Smart(phones) by 2016 » – E-Marketer.com – 11 décembre 2014
Olivier Cimelière
Littéraire dans l’âme, journaliste de formation et communicant de profession, voilà pour le tableau synoptique express d’Olivier Cimelière. Olivier a 20 ans d’expérience et un parcours plutôt original dans des secteurs d’activité très variés. Expert en stratégie de communication d’entreprise et de réputation des dirigeants, il est directeur d’Heuristik Communications et anime le blog du communicant 2.0. Depuis avril 2014, il est directeur associé de l’agence d’image et opinions Wellcom.