Alors que le Covid a constitué un énorme trou d’air pour l’ensemble du secteur aérien, Air France KLM en a profité pour lancer sa nouvelle stratégie Data. L’objectif est d’insuffler une stratégie Data dans les 25 directions métiers du groupe alors que la maîtrise de la Data était jusque-là très centralisée au siège.
S’il est une entreprise qui a la culture Data en France, c’est certainement Air France KLM. Son département de recherche opérationnelle a été créé en 1958. La compagnie aérienne s’est dotée d’un Data Warehouse Teradata dès 2001 et ses équipes ont bâti des cas d’usage Data sur cette infrastructure on-premise jusqu’à aujourd’hui.
« Nous sommes la seule compagnie à avoir développé notre propre moteur d’optimisation du Revenue Management en temps réel«
A ce jour, le groupe compte 150 experts dans les équipes spécialisées en optimisation et en Machine Learning (Apprentissage automatique) qui délivrent des solutions pour l’ensemble du groupe. Les Data Scientists continuent de faire évoluer ces modèles de prévision de la demande et vont vers le Continuous Pricing des billets (les tarifs deviennent plus granulaires pour s’adapter à l’offre et à la demande à chaque instant). Autre cheval de bataille, il y a la vision à 360° du client qui existe depuis 2016, une démarche jugée performante par la responsable, mais qui continue à être améliorée.
Air France cherchait à connaître la réelle expérience voyageur
L’équipe Data travaille aussi sur des cas d’usage comme la maintenance prédictive. Les données liées aux opérations sont plus difficiles à connaître. « La donnée opérationnelle était bien plus difficile à collecter. De plus, il fallait réussir à croiser cette donnée avec la donnée client et être enfin capable de connaître l’expérience client la dernière fois qu’un passager a voyagé sur nos compagnies. Cela doit servir à adapter l’offre, mais aussi la relation que nous entretenons avec le client. Il fallait tirer vers le haut les métiers qui étaient un peu en retard. »
« Avec les Airbus A380, nous avons pu récupérer énormément de données, dont nous ne savions pas trop quoi faire au début »
« Un ingénieur de la maintenance aéronautique est venu voir le département de recherche opérationnelle avec la disquette qui permettait de récupérer les données dans le cockpit. En analysant ce qu’il nous a fourni, nous avons pu voir qu’il y avait un fort potentiel à exploiter ces données. C’est comme cela que nous avons développé nos premiers moteurs de maintenance prédictive » rappelle-t-elle.
Les limites de l’approche « Business Case »
Néanmoins, cette stratégie de développement de projets Data présentant de forts ROI (Retours sur investissements) présentait quelques inconvénients. Les 25 directions métiers du groupe ont des niveaux de maturité différents en matière de Data, ce qui freine la mise en place de cas d’usages transverses. « 25 directions métiers, c’est au moins 25 Data Officers différents qu’il faut réunir autour de la même table et faire converger vers une vision commune, une même roadmap, ce n’est pas simple » commente Julie Pozzi.
En 2021, Air France décide de se doter d’une stratégie Data neuve pour donner une nouvelle impulsion Data auprès des métiers
Alors que la crise du Covid cloue au sol les avions de ses compagnies aériennes, le groupe décide de revoir son approche. L’idée est alors de donner plus d’autonomie aux métiers alors que l’informatique du groupe était traditionnellement très centralisée. « L’enjeu en 2021 était de donner plus d’autonomie aux métiers pour qu’ils accèdent à leurs données, traiter des cas d’usage eux-mêmes sans avoir nécessairement besoin de passer par un Data Engineer » présente-t-elle. Jean-Christophe Lalanne, alors CIO du groupe Air France KLM convainc le Group Executive Comitee de lancer une étude qui allait donner naissance au programme de stratégie Data.
Une stratégie Data qui agit sur 3 axes
La nouvelle stratégie Data porte sur 3 axes. Il s’agit de la valorisation des données, de la gouvernance des données à mettre en place et évidemment les « enablers » (facilitateurs) technologiques. Alors que cette initiative est lancée, plus de 125 projets Data étaient en cours dans l’ensemble des métiers.
« Il fallait réconcilier tous les cas d’usage avec la vision stratégique«
Avec l’aide de la société de conseil Veltys spécialisée en Data, un cadre (framework) d’évaluation est créé. Il rassemble les 15 chantiers sur lesquels le groupe doit absolument se positionner pour rester compétitif. Chaque chantier est positionné sur une cartographie semblable à un « Magic Quadrant » du cabinet Gartner. Le but est de mesurer le niveau de maturité Data du groupe.
« Cette cartographie est holistique [NDLR : a une approche globale] et transverse » précise Julie Pozzi. « Chaque Business Unit peut contribuer à chaque chantier, c’est ce qui permet de trouver de la transversalité » explique-t-elle. La cartographie est alors considérée comme une référence. « Un porteur de projet peut aller voir si d’autres n’ont pas déjà contribué sur le sujet. Côté groupe, cela permet de voir où sont dépensées les efforts et le budget » poursuit la responsable.
Casser les silos entre les différents usages de la Data
L’autre grand défi du groupe est de casser les silos entre la publicité, le commercial, puis les systèmes opérationnels qui prennent en charge le passager lorsque celui-ci se présente au guichet d’embarquement. Julie Pozzi prend ainsi l’exemple du modèle de prédiction du trafic utilisé pour chaque vol Air France.
Un même outil prédit le nombre de passagers par vol, estime les plateaux repas et le volume d’eau pour les toilettes de l’avion
« Il faut apporter une cohérence à l’ensemble de ces modèles » ajoute-t-elle. Ce modèle prédictif « as a Service » est appelable par n’importe quelle application du groupe. « De tels outils doivent être cohérents de bout en bout sur les différents horizons de temps et appelables par n’importe quel outil des différentes directions du groupe » insiste-t-elle.
Des structures pour acculturer et fédérer les efforts des métiers
Le troisième défi de la stratégie Data est de fédérer les efforts des métiers. Dans ce but, un « Data & AI Office » – un bureau de la Data et de l’intelligence artificielle – a été créé dans ce but et l’infrastructure Data va peu à peu évoluer vers la notion de Data Mesh.
Une Data Factory accompagne les métiers sur les usages complexes
« L’idée est que dans 3 ans nous n’en aurons plus besoin car sa mission, c’est l’autonomie des métiers, la démocratisation des usages, passer la main aux métiers sur tous leurs usages Data » présente-t-elle. Cette structure offre des formations ainsi qu’un cursus de reconversion pour transformer les collaborateurs du groupe en Data Stewards. « Ces jobs [NDLR : de Data Stewards] souffrent d’un manque d’attractivité et nous avons mis en place un cursus de reconversion pour mettre la lumière sur les métiers de la Data, attirer les gens sur lesquels nous investissons pour les reconvertir » propose-t-elle.
Accompagner les projets complexes
De même, la structure propose un accompagnement sur les projets complexes, notamment s’il faut faire sauter un verrou technologique, ou encore jouer le rôle d’owner sur les projets très transverses où aucun métier ne peut jouer ce rôle.
Les Data Engineers répondent aux questions des personnes des métiers intéressées par la Data
En parallèle, une véritable filière Data s’est mise en place. Tous les collaborateurs amenés à jouer un rôle sur la Data sont identifiés. Ils se voient proposer des formations et leur mobilité dans le groupe est suivie de près, car ils sont des vecteurs de la nouvelle culture Data d’Air France KLM dans ses différents métiers.