Les lunettes connectées seront adoptées par les entreprises avant le grand public. Le développement d’applications pour ces lunettes s’apparente au développement d’Apps pour les smartphones. Il faut alors tenir compte de multiples contraintes, dont la faible autonomie, la faible résolution d’écran, etc. C’est ce qu’analyse Florian Lorence, responsable des nouvelles technologies chez Hardis. Il présentera ces bonnes pratiques lors du Salon Mobility for Business, des 15 et 16 octobre.
Question : quels sont les principaux atouts des lunettes connectées dans le domaine professionnel ?
Florian Lorence : les lunettes offrent des avantages non négligeables par rapport à un smartphone. Elles donnent en particulier la possibilité de se libérer les mains pour une autre activité. On accède facilement à l’information en temps réel grâce à la réalité augmentée avec l’écran qui s’affiche devant les yeux. On dispose des éléments récupérés par les capteurs, comme la voix, le GPS, la caméra, l’accéléromètre, et le gyroscope. Cela permet aussi l’assistance à distance. L’assistant « voit » en quelque sorte au travers des yeux du porteur de lunettes. Il reçoit directement le flux vidéo transmis par le porteur des lunettes, la caméra étant située à peu près au niveau des yeux.
Question : quels sont les domaines professionnels dans lesquels vous pressentez une adoption plus rapide des lunettes connectées ?
Florian Lorence : les domaines de la logistique, de l’industrie et du médical devraient être plus facilement ouverts à l’utilisation des lunettes connectées. En logistique, se libérer les mains est un avantage non négligeable pour assurer une meilleure manutention surtout dans les entrepôts peu mécanisés. Dans l’industrie, la mise en œuvre de la réalité augmentée peut s’avérer utile pour des manipulations un peu complexes, notamment pour l’apprentissage. Et dans le médical, l’assistance vidéo d’un confrère peut être appréciée, ainsi que de disposer du dossier médical d’un patient sous les yeux.
Question : quels sont les standards de développement d’applications pour les lunettes connectées?
Florian Lorence : il n’y a pas de standard de développement aujourd’hui pour les lunettes connectées. Les lunettes connectées connaissent aussi une multiplication de systèmes d’exploitation comme les smartphones avec leur diversité de systèmes d’exploitation et de technologies de développement, même si la majorité d’entre elles tournent aujourd’hui autour d’Android, pour son côté ouvert.
Question : y-a-t-il des similitudes entre le développement pour des lunettes connectées et le développement d’Apps pour des smartphones ?
Florian Lorence : Les lunettes connectées fonctionnant sous Android connaissent les mêmes règles de développement que les applications sur smartphone sous Android. On peut réaliser soit des applications natives sous Android, soit des applications hybrides ou de simples sites web mobiles.
Question : à quoi faut-il faire attention lors des développements ?
Florian Lorence : certains constructeurs utilisent des surcouches dont il faut parfois gérer la spécificité, ou bien des SDK particuliers comme les Google Glass avec le GDK [Glass Development Kit]. Il faut également considérer le fait que les lunettes connectées sous Android n’utilisent pas forcément le tout dernier SDK disponible, ce qui peut limiter les fonctionnalités.
Autre exigence, la réalité augmentée va également apporter son lot de spécificités pour le développement. Selon le moteur de 3D et de réalité augmentée choisi, le SDK et les langages de développement ne sont pas les mêmes. On trouvera notamment la possibilité d’utiliser Unity, metaio, et Wikitude sur les lunettes connectées.
Question : quelles sont les principales contraintes lorsque l’on veut développer une application pour lunettes connectées ?
Florian Lorence : les principales contraintes viennent de la relative faible autonomie des lunettes connectées. Une utilisation poussée des lunettes peut conduire à 2 à 3 heures d’autonomie, ce qui est encore loin de ce que l’on connaît sur les smartphones. Il faut donc utiliser les fonctions gourmandes en énergie avec parcimonie notamment l’emploi de la caméra vidéo, qui est nécessaire dans le cadre de la réalité augmentée.
Autre frein, la résolution d’affichage peut être très faible, certaines lunettes n’ont un écran que de 240 par 400 pixels. Sans compter que les résolutions, comme dans le domaine des smartphones, sont très différentes d’un modèle à l’autre, rendant le portage d’une application existante complexe.
Question : les processeurs de ces lunettes sont-ils suffisamment puissants ?
Florian Lorence : La puissance du processeur n’est pas en soi une limite, pas plus que la mémoire. Les applications professionnelles ne sont pas forcément destinées à réaliser des traitements complexes, du moins pas directement sur les lunettes connectées.
Nous reproduisons en effet les schémas de développement des applications mobiles. Il y a une application « serveur » réalisant les traitements lourds et complexes à distance, le « client », le smartphone ou les lunettes connectées, se « contentent » d’afficher les informations et de gérer les interactions avec l’utilisateur, et des échanges de web services entre les deux.
De fait, tant qu’il n’y a pas d’emploi d’affichage 3D massif, un processeur et une mémoire importante ne sont pas nécessaires.
Question : quelle est la différence la plus importante avec le smartphone ?
Florian Lorence : la connexion avec internet est la grosse différence avec les smartphones. Les lunettes actuelles ne sont pas équipées de cartes SIM, les échanges réseau doivent donc se réaliser en Wifi ou en Bluetooth si les lunettes en sont équipées.
Concernant les SDK, cela varie selon les modèles de lunettes, mais si l’on parle de lunettes connectées basées sur Android, le SDK est suffisamment stable et robuste pour réaliser des applications d’entreprise. Attention toutefois aux Google Glass, où le GDK évolue encore très régulièrement et apporte parfois des incompatibilités du code applicatif d’une version à l’autre.
Question : combien de temps faut-il pour développer ce type d’Apps, et quel est le coût moyen de développement ?
Florian Lorence : là encore, les coûts de développement sont très différents selon le système d’exploitation cible des lunettes connectées et selon, la technologie de développement employée, mais le coût d’entrée est sensiblement le même que pour réaliser le même développement sur smartphone.. Il faut néanmoins penser à l’acquisition du matériel. Il faut en effet tester sur le matériel cible et pas uniquement au travers d’émulateurs ou de simulateurs. Le coût des lunettes peut aller de 400 € – 500€ à plusieurs milliers d’euros suivant les modèles, la majorité des lunettes se situant autour de 600 à 800€, soit le prix de smartphones de haut de gamme.
Question : quelles sont les améliorations que les constructeurs pourraient porter sur les lunettes connectées pour favoriser leur adoption en entreprise ?
Florian Lorence : le point crucial est clairement l’autonomie, l’objectif est d’avoir à terme, des lunettes connectées capables de tenir la journée au minimum, surtout pour une utilisation en entreprise.
Le second point concerne la robustesse des lunettes. Certains modèles m’ont semblé fragiles et difficilement compatibles avec une utilisation et une manipulation régulière en entreprise avec des risques de chutes.
Le confort d’utilisation ne doit pas être négligé non plus, surtout si les lunettes doivent être portées plusieurs heures. Le confort est d’ailleurs à deux niveaux. Cela concerne le port des lunettes en lui-même, au niveau des branches, du pont et des plaquettes. Cela est lié au poids des lunettes. Elles sont généralement plus lourdes que les lunettes de vue à cause des matériaux employés et à la possibilité d’ajustement. Des efforts peuvent encore être faits dans ce domaine.
Il faudrait améliorer également le confort de visualisation des écrans. Selon les modèles, il est possible ou non d’ajuster la distance de visualisation des écrans. La définition des écrans joue également un grand rôle dans ce cas. De plus, suivant les lunettes, l’affichage peut être monoculaire (un seul œil reçoit l’information) ou binoculaire (une grande partie du champ de vision est occupé par l’écran). L’immersion procurée par un affichage binoculaire peut aussi être source de danger, car l’attention de l’utilisateur n’est alors focalisée que sur les écrans diffusés devant ses yeux.
Photo : Florian Lorence, responsable des nouvelles technologies chez Hardis. Florian Lorence a 11 ans d’expérience autour des architectures JEE, du e-commerce et des problématiques mobiles.