Placer le client au centre de la stratégie d’entreprise est un discours que l’on entend depuis des années. La réalité du terrain est différente car d’autres priorités entravent cette volonté. Pour Thomas Husson, analyste chez Forrester Research, le travail sur les parcours client reste une démarche pragmatique afin de mettre fin au « Customer Washing« , c’est à dire au discours mensonger sur le client. Il faut notamment traiter les feedbacks clients.
L’expérience client était déjà la priorité en 2024, tout comme elle l’était en 2023. Placer l’expérience client comme une priorité sera encore à l’agenda des Comités Exécutifs en 2025, mais passera sans doute encore derrière d’autres priorités plus immédiates comme l’augmentation des revenus ou la baisse des coûts.
« Pourquoi seulement 5 % des entreprises selon Forrester sont-elles obsédées par leurs clients ? »
« Tout le monde dit que son entreprise est centrée sur le client, mais c’est une sorte de Customer Washing [déferlante de messages trompeurs d’une entreprise qui veut transformer son image publique en masquant sa réalité : NDLR] ! Les dirigeants ne font pas ce qu’ils disent et ne placent pas l’expérience client comme un véritable impératif stratégique » tranche l’analyste. Il pointe notamment la baisse de la valeur perçue par le client. Le baromètre de l’expérience client Forrester a atteint son plus bas niveau en 2024.
Faire des parcours client un mode opératoire
Les dirigeants ne font pas ce qu’ils disent et l’inflation subie en 2021 explique en partie cet état de fait. Pour Forrester Research, les entreprises doivent dans un premier temps se concentrer sur les parcours client. « C’est un point qui est aujourd’hui dans le top 5 des priorités et des tendances clés, mais malheureusement, quand on interroge plus de 600 responsables de l’expérience client, ceux-ci ne sont pas responsables des parcours client » relève l’analyste.
Seulement une faible proportion des responsables de l’expérience client a la responsabilité des parcours client
L’industriel Eon s’est concentré sur 9 parcours client. Certains parcours sont classiques comme la gestion du déménagement, l’enrôlement d’un nouveau client ou le fait de payer sa facture. D’autres sont nouveaux, comme le fait de devenir « producteur d’énergie solaire ». « Ils [Eon] ont fait de ces parcours un véritable mode opératoire. Une gouvernance issue du Top Management a été mise en place, avec un Journey Manager et un PNL Manager pour chaque parcours client. Eon a obtenu une augmentation de 40 points de son NPS et obtenu 1,5 million d’euros d’économie sur un seul parcours dans un seul pays. Ça fonctionne et c’est profitable » affirme-t-il.
Aller au-delà du NPS avec les feedbacks client
Une autre tendance forte pour 2025 sera dans l’exploitation des feedbacks des clients. L’IA et notamment l’IA générative apportent les moyens d’analyser de gros volumes de textes non structurés. De ce fait, les avis clients vont enfin pouvoir devenir de véritables leviers d’action. Lorsque l’entreprise a compris quels sont les irritants sur le parcours client, elle peut agir et véritablement améliorer l’expérience client.
« Ce sont les feedbacks clients qui vont pouvoir donner les moyens à l’entreprise de se différencier sur l’expérience client »
« Dans certaines entreprises, le score NPS du jour est affiché partout sur des écrans. Ça va un peu loin » critique-t-il. Forrester Research estime qu’il est bien plus efficace de mettre en place des « Feedback Loop », et de nommer des « Feedback Managers » pour agir.
Délivrer de la valeur et pas un score
« L’objectif est de délivrer de la valeur et pas un score. La personne qui, pour moi, a le mieux résumé cela est Jason S. Bradshaw, l’ancien patron de l’expérience client et du marketing de Volkswagen en Australie, pays pilote pour le groupe en marketing » indique-t-il. « Il a dit qu’une expérience client de qualité ne se mesure pas avec un score ou en points, mais sur la fidélité du client et la profitabilité de l’entreprise. »
« Un élément important est de faire des enquêtes ciblées sur une feature, une fonctionnalité seulement«
Il prend exemple sur la compagnie aérienne Low Cost Easyjet avec sont lancement de la feature « Mon voyage préféré » appelée Shorlist. « Au lancement, cette fonctionnalité ne fonctionnait pas très bien, mais la capacité à faire des enquêtes client sur cette partie du site couplée aux Analytics ont permis d’apporter les changements nécessaires très rapidement et améliorer son fonctionnement. Les résultats sont quantifiables : +7,3 % d’augmentation des revenus pour les visiteurs qui utilisent cette feature. »
Placer l’émotion au cœur de l’expérience client
Thomas Husson estime que la troisième tendance forte pour 2025 portera sur l’émotion. Ce sera le point qui permettra à une entreprise de se différencier sur son expérience client. Néanmoins, avant de songer à injecter une dose d’émotion dans un parcours client, il faut que celui-ci réponde déjà aux fondamentaux, la règle des 3 « E ». Le premier E porte sur l’efficacité, c’est-à-dire délivrer de la valeur au client. « Si vous avez un échange avec un conseiller en centre d’appel qui est très sympathique, très empathique, mais qui n’arrive pas à répondre à votre problème, cela ne va pas fonctionner » commente Thomas Husson.
« Ce n’est plus seulement le prix, le produit, le service, mais la manière dont tout cela sera mixé avec l’expérience de marque »
Le responsable pointe la nécessité de nettoyer les dispositifs digitaux des bugs qui entachent encore bien souvent l’expérience utilisateur. « Nous voyons passer sur nos serveurs les 50 milliards de visites de nos clients, 39 % de ces visites contiennent encore des éléments de frustration. Le premier coupable, ce sont encore des erreurs techniques. Des milliards ont été investis dans l’observabilité, avec des logiciels qui tournent en permanence pour vous dire ce qui se passe, et malgré cela, il y a encore beaucoup trop de sessions avec des erreurs JavaScript, des erreurs techniques qui ont un impact sur l’expérience. »
Les temps de chargement redeviennent critiques
Le responsable souligne aussi un autre élément de frustration très fréquent : les temps de chargement. Les visiteurs ont une patience extrêmement limitée et les délais qui étaient acceptables il y a quelques années ne le sont plus aujourd’hui : « on s’aperçoit qu’entre une expérience moyenne de 2,5 secondes de chargement [le niveau Orange de Google] et le niveau vert sous ces 2,5 secondes, le taux de conversion varie de quasiment 40 % [selon les Google Core Web Vitals] » Ces éléments purement techniques peuvent potentiellement menacer une expérience de marque que l’on veut positive et la transformer en quelque chose d’extrêmement négatif.