En matière de parcours client, il faut arrêter de se focaliser sur le NPS et regarder la valeur

Thomas Husson, analyste Forrester Research, 7 novembre

Placer le client au centre de la stratégie d’entreprise est un discours que l’on entend depuis des années. La réalité du terrain est différente car d’autres priorités entravent cette volonté. Pour Thomas Husson, analyste chez Forrester Research, le travail sur les parcours client reste une démarche pragmatique afin de mettre fin au « Customer Washing« , c’est à dire au discours mensonger sur le client. Il faut notamment traiter les feedbacks clients.

L’expérience client était déjà la priorité en 2024, tout comme elle l’était en 2023. Placer l’expérience client comme une priorité sera encore à l’agenda des Comités Exécutifs en 2025, mais passera sans doute encore derrière d’autres priorités plus immédiates comme l’augmentation des revenus ou la baisse des coûts.


« Pourquoi seulement 5 % des entreprises selon Forrester sont-elles obsédées par leurs clients ? »

« Il est quand même bizarre que 75 % des dirigeants des entreprises internationales disent qu’il s’agit d’une de leurs priorités, et que pour 51 % il s’agit de la priorité numéro 1. Alors pourquoi seulement 5 % des entreprises selon Forrester, sont obsédées par leurs clients ? » lance Thomas Husson, Vice Président et Principal Analyst chez Forrester lors de l’événement CX Circle 2024 organisé par l’éditeur Contentsquare à Paris, le 7 novembre.

« Tout le monde dit que son entreprise est centrée sur le client, mais c’est une sorte de Customer Washing [déferlante de messages trompeurs d’une entreprise qui veut transformer son image publique en masquant sa réalité : NDLR] ! Les dirigeants ne font pas ce qu’ils disent et ne placent pas l’expérience client comme un véritable impératif stratégique » tranche l’analyste. Il pointe notamment la baisse de la valeur perçue par le client. Le baromètre de l’expérience client Forrester a atteint son plus bas niveau en 2024.



Faire des parcours client un mode opératoire

Les dirigeants ne font pas ce qu’ils disent et l’inflation subie en 2021 explique en partie cet état de fait. Pour Forrester Research, les entreprises doivent dans un premier temps se concentrer sur les parcours client. « C’est un point qui est aujourd’hui dans le top 5 des priorités et des tendances clés, mais malheureusement, quand on interroge plus de 600 responsables de l’expérience client, ceux-ci ne sont pas responsables des parcours client » relève l’analyste. 


Seulement une faible proportion des responsables de l’expérience client a la responsabilité des parcours client

Plus précisément, seulement une faible proportion des responsables de l’expérience client a la responsabilité du parcours client. « Seul le quart d’entre eux le sont, or l’expérience client doit être une discipline transverse dans l’entreprise. » Thomas Husson cite notamment comme exemple à suivre Eon, une entreprise du secteur de l’énergie qui compte près de 50 millions de clients en Europe et qui a su optimiser ses parcours clients.

L’industriel Eon s’est concentré sur 9 parcours client. Certains parcours sont classiques comme la gestion du déménagement, l’enrôlement d’un nouveau client ou le fait de payer sa facture. D’autres sont nouveaux, comme le fait de devenir « producteur d’énergie solaire ». « Ils [Eon] ont fait de ces parcours un véritable mode opératoire. Une gouvernance issue du Top Management a été mise en place, avec un Journey Manager et un PNL Manager pour chaque parcours client. Eon a obtenu une augmentation de 40 points de son NPS et obtenu 1,5 million d’euros d’économie sur un seul parcours dans un seul pays. Ça fonctionne et c’est profitable » affirme-t-il.

Aller au-delà du NPS avec les feedbacks client

Une autre tendance forte pour 2025 sera dans l’exploitation des feedbacks des clients. L’IA et notamment l’IA générative apportent les moyens d’analyser de gros volumes de textes non structurés. De ce fait, les avis clients vont enfin pouvoir devenir de véritables leviers d’action. Lorsque l’entreprise a compris quels sont les irritants sur le parcours client, elle peut agir et véritablement améliorer l’expérience client.

« Ce sont les feedbacks clients qui vont pouvoir donner les moyens à l’entreprise de se différencier sur l’expérience client »

« Nous pensons que 20% des équipes CX [Customer eXperience] vont arrêter de s’obnubiler sur un score et faire en sorte que ces feedbacks comptent véritablement » estime Thomas Husson. « Ce sont ces feedbacks qui vont pouvoir donner les moyens à l’entreprise de se différencier sur l’expérience client » annonce-t-il. S’intéresser à l’expérience client doit dépasser l’obsession pour le NPS (Net Promoter Score] et regarder la valeur. «  On voit beaucoup une obsession pour le score et notamment une obsession pour le NPS. Mesurer l’expérience client doit être fait pour délivrer de la valeur, augmenter les revenus et baisser les coûts » réagit Thomas Husson.

« Dans certaines entreprises, le score NPS du jour est affiché partout sur des écrans. Ça va un peu loin » critique-t-il. Forrester Research estime qu’il est bien plus efficace de mettre en place des « Feedback Loop », et de nommer des « Feedback Managers » pour agir.

Délivrer de la valeur et pas un score

« L’objectif est de délivrer de la valeur et pas un score. La personne qui, pour moi, a le mieux résumé cela est Jason S. Bradshaw, l’ancien patron de l’expérience client et du marketing de Volkswagen en Australie, pays pilote pour le groupe en marketing » indique-t-il. « Il a dit qu’une expérience client de qualité ne se mesure pas avec un score ou en points, mais sur la fidélité du client et la profitabilité de l’entreprise. »

« Un élément important est de faire des enquêtes ciblées sur une feature, une fonctionnalité seulement« 

Pierre Casanova, Head of Corporate Development de l’éditeur Contentsquare, confirme la position de Thomas Husson. Il considère que l’amélioration de l’expérience client est de moins en moins une problématique de mesure, mais de plus en plus dans l’action et l’exploitation des feedback client, avec des démarches très ciblées. « Un élément important est de ne plus faire des enquêtes sur l’ensemble du site, mais des enquêtes ciblées sur une feature, une fonctionnalité seulement. »

Il prend exemple sur la compagnie aérienne Low Cost Easyjet avec sont lancement de la feature « Mon voyage préféré » appelée Shorlist. « Au lancement, cette fonctionnalité ne fonctionnait pas très bien, mais la capacité à faire des enquêtes client sur cette partie du site couplée aux Analytics ont permis d’apporter les changements nécessaires très rapidement et améliorer son fonctionnement. Les résultats sont  quantifiables : +7,3 % d’augmentation des revenus pour les visiteurs qui utilisent cette feature. »

Placer l’émotion au cœur de l’expérience client                                     

Thomas Husson estime que la troisième tendance forte pour 2025 portera sur l’émotion. Ce sera le point qui permettra à une entreprise de se différencier sur son expérience client. Néanmoins, avant de songer à injecter une dose d’émotion dans un parcours client, il faut que celui-ci réponde déjà aux fondamentaux, la règle des 3 « E ». Le premier E porte sur l’efficacité, c’est-à-dire délivrer de la valeur au client. « Si vous avez un échange avec un conseiller en centre d’appel qui est très sympathique, très empathique, mais qui n’arrive pas à répondre à votre problème, cela ne va pas fonctionner » commente Thomas Husson.

« Ce n’est plus seulement le prix, le produit, le service, mais la manière dont tout cela sera mixé avec l’expérience de marque »

Le deuxième E correspond à l’ « Easyness », la facilité avec laquelle on interagit avec une marque. Mais ce qui différencie l’expérience, c’est réellement l’émotion et la manière dont le consommateur se sent engagé par l’expérience. Pierre Casanova abonde dans ce sens : intégrer des moments d’émotion dans les parcours client fera partie des choses qui, en 2025,  sont de plus en plus importantes. « Un de nos clients a l’habitude de dire « Experience is the new brand ». Ce n’est plus seulement le prix, le produit, le service qui va être délivré, mais la manière dont tout cela sera mixé avec l’expérience de marque » cite-t-il.

Le responsable pointe la nécessité de nettoyer les dispositifs digitaux des bugs qui entachent encore bien souvent l’expérience utilisateur. « Nous voyons passer sur nos serveurs les 50 milliards de visites de nos clients, 39 % de ces visites contiennent encore des éléments de frustration. Le premier coupable, ce sont encore des erreurs techniques. Des milliards ont été investis dans l’observabilité, avec des logiciels qui tournent en permanence pour vous dire ce qui se passe, et malgré cela, il y a encore beaucoup trop de sessions avec des erreurs JavaScript, des erreurs techniques qui ont un impact sur l’expérience. »

Les temps de chargement redeviennent critiques

Le responsable souligne aussi un autre élément de frustration très fréquent : les temps de chargement. Les visiteurs ont une patience extrêmement limitée et les délais qui étaient acceptables il y a quelques années ne le sont plus aujourd’hui : « on s’aperçoit qu’entre une expérience moyenne de 2,5 secondes de chargement [le niveau Orange de Google] et le niveau vert sous ces 2,5 secondes, le taux de conversion varie de quasiment 40 % [selon les Google Core Web Vitals] » Ces éléments purement techniques peuvent potentiellement menacer une expérience de marque que l’on veut positive et la transformer en quelque chose d’extrêmement négatif.

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