Question : comment préparer des professionnels à des métiers du numérique que l’on ne maîtrise pas encore ou que l’on ne connaît pas encore ?
Emmanuel Carli : il ne faut pas leur apprendre un métier, mais il faut leur apprendre à évoluer dans un environnement ultra-changeant afin d’y acquérir des compétences pour résoudre tout au long de leur carrière les nombreux problèmes auxquels ils devront faire face.
En l’occurrence à l’Epitech, la pédagogie s’appuie sur trois leviers : la technologie, l’humanité avec la culture d’entreprise et l’écosystème pour porter des projets avec des entreprises, forger la culture d’entreprise et entreprendre. Chaque étudiant aura mené environ 250 projets sur ses 3 ans de scolarité.
La clé est d’apprendre à apprendre. Les technologies évoluent trop vite comme le traduit le site www.travis-ci.org. Apprendre la méthode pour apprendre à se repérer dans le corpus des technologies du moment est plus important. Il faut conditionner ce réflexe pour se préparer au changement permanent. C’est un pilier d’analyse du contexte à un moment donné.
Question : comment prépare-t-on les leaders du numérique de demain ?
Emmanuel Carli : il faut créer un écosystème qui les pousse à prendre des risques, que l’on soit entrepreneur, intra-preneur ou collaborateur. Coder ne suffit plus il faut avoir une capacité à s’ouvrir.
Il faut développer des réflexes pour oser, porter des projets en appréhendant les éléments stratégiques de développement. C’est à quoi sert notre hub d’innovation.
Question : comment la France et l’Europe doivent-elles se positionner afin de réussir face l’hégémonie américaine ou chinoise ?
Emmanuel Carli : la France a des atouts considérables. C’est un pays avec une longue tradition industrielle et une histoire plus ancienne que celle des Etats-Unis. La France a déjà fait ses preuves dans sa capacité à former des cerveaux brillants pour développer des centres de Recherche & de développement. La France a traditionnellement un esprit de conquête mais qui a été mis à mal par les deux guerres mondiales. La gestion du risque et la peur de l’échec ont pris le pas.
Là où la boutade de Churchill nous apprend que « on peut faire confiance aux Américains pour trouver la bonne solution après avoir essayé toutes les autres« , les Français se donnent un nombre très limité de propositions, trop limité à l’ère du Numérique.
Si à l’ère du pétrole les Américains sont rois, à l’ère du numérique nous devrions nous Français, producteurs de l’électricité la moins chère, disposer de la plus grande infrastructure Cloud mondiale. Si les pétroliers ont des raffineries, EDF devrait avoir des data Centers et en faire profiter très largement notre pays pour en faire la « start-up nation ».
Le Cloud n’est pas qu’une histoire de souveraineté. Les problèmes auxquels nous faisons face ont été très largement décrits dans le rapport de la commission Européenne sur le réseau Echelon. Seul le volume des données qu’internet véhicule change la donne. Internet, le Cloud et les technologies Open Source créent un potentiel entreprenarial que nous n’avons jamais connu jusqu’à aujourd’hui et ce n’est qu’un début.
Nous devons libérer nos talents, créer des équipes de choc et accepter de croire en notre réussite. L’esprit de conquête, même assoupi, est toujours là. Il faut en redonner le goût et pour cela nous avons besoin de tout le monde.
De la recherche fondamentale au développement expérimentale la France de la technologie et de tous les métiers doit être soudée et dirigée vers un seul objectif, la réussite de notre pays sur l’échiquier mondial.