Beaucoup de raisons poussent la Maison Chanel à ne pas employer l’IA générative. Pour autant, la prestigieuse marque cherche à l’utiliser afin de gagner en efficacité sur les tâches à faible valeur ajoutée. Elle pourrait même aider dans certaines tâches de création. Chanel imagine des cas d’usage disruptifs.
Privilégier l’humain dans la relation client et la création
Mais Chanel veut privilégier l’humain que ce soit dans la relation client ou dans la création. Il faut aussi dire que côté digital, de nombreuses questions entourent l’IA générative, qu’il s’agisse de protection des données ou de la propriété intellectuelle. Côté usage, les principes mêmes de l’IA générative ne s’accordent pas avec le luxe, selon Chanel. La Maison veut bien gagner en efficacité mais elle ne veut pas perdre son identité. Au final, pourtant, toutes les Maisons de luxe finiront par avoir les mêmes plateformes, ce qui fera la différence ce sera l’excellence de leurs artisans.
« L’IA est un outil un petit peu particulier, mais nous le considérons comme tout autre outil »
Chanel explore les possibilités de l’IA pour soutenir son métier et servir son ambition. « C’est vrai qu’on s’aperçoit qu’on a une certaine prudence par rapport à son utilisation dans la mesure où on perçoit potentiellement des fondamentaux qui ne s’alignent pas avec le luxe » pointe-t-il. Il rappelle que le luxe c’est l’unique, l’authenticité et l’exceptionnel. « On fait en sorte que l’affirmation de la singularité que vont rechercher nos clientes puisse s’exprimer. Cela fait appel à la liberté de choix, la liberté de faire, de défaire, d’expérimenter, de s’essayer et au final d’exercer son libre arbitre » dit-il.
L’IA générative s’oppose au luxe dans sa philosophie
Or l’intelligence artificielle à l’inverse repose sur du systématique et des règles. « Quand on regarde comment fonctionne l’intelligence artificielle, on s’aperçoit que ce sont des approches plus ou moins systématiques. On parle de l’exécution de routines à travers des moteurs de règles, qui vont s’appuyer sur beaucoup de données et ces données elles-mêmes, vont être pré-éduquées c’est-à-dire elles vont être encadrées » décrit-il.
« Le luxe a peu de volume, donc peu de data. Cela veut dire qu’on pourrait avoir des modèles qui sont peu efficaces »
Il en est de même dans la création. « Dans la création, par nature, il serait difficile de remplacer la sensibilité humaine, le processus intuitif, voire la vision du créateur par des modèles génériques » souligne-t-il. Tout cela écarte a priori l’usage de l’IA par Chanel. « Dans ce cadre-là, on pense qu’il y a peu d’usages qui pourraient être remplacés par l’IA, Même si on recherche systématiquement à nous libérer de tâches récurrentes à faible ajoutée pour nous concentrer sur ce qui est important et nous concentrer sur ce qui est le plus impactant, mais pas l’inverse » ajoute-t-il.
La question de la propriété intellectuelle se pose
Le sujet de la propriété intellectuelle perturbe aussi l’usage de l’IA. « C’est la partie la plus sensible. On parle d’intelligence artificielle générative, c’est celle qui se veut créative, génératrice. Et pour autant, il ne faut pas foncer tête baissée parce qu’on n’est pas garanti d’être totalement protégé » retient-il.
« Nos fournisseurs technologiques sont, pour la plupart, non-européens. Nous ne sommes pas forcément les plus protégés »
De plus, la question de la protection concerne en fait l’ensemble de l’écosystème de Chanel. « Notre modèle de fonctionnement est, contrairement peut-être à ce qu’on pourrait imaginer, très ouvert. Nous avons des partenaires partout, nous avons des fournisseurs, nous sommes interconnectés, nous animons un écosystème qu’il est difficile de pleinement contrôler si on voulait déployer de l’IA générative. Là, on pourrait avoir des contrats qui nous protégeraient sur un tronçon, mais pas sur la totalité de la chaîne. La protection de bout en bout de nos connaissances, de nos données, n’est pas garanti » établit-il.
Qui possède les algorithmes ?
Ce point de vigilance est aussi un frein pour Chanel. S’y joint la question de la propriété des algorithmes. « Les modèles, les patterns, sont construits à partir des données que l’on fournit. Qui est propriétaire de ces patterns ? » interroge-t-il. Sachant, que Chanel est dans un écosystème avec des fournisseurs de matière première, de prestations de fabrication de produits finis et semi-finis.
« Qui est propriétaire de l’algorithmie ? Cette interrogation n’a pas été levée pleinement »
L’IA générative crée un autre bouleversement, celui de fournir un résultat en quelques secondes là où une Maison de luxe réalise un travail long et appliqué afin de délivrer des résultats. Cela a de quoi rabaisser la qualité de ce travail. « On a aussi un point finalement réputationnel, voire même existentiel. Lorsque vous utilisez une intelligence générative, que ce soit pour créer un texte, une image et a fortiori des produits, des services, vous allez être en opposition avec l’effort, l’expérience accumulée, au talent, à la connexion émotionnelle, qui prend des années, qui est valorisée parce qu’il y a derrière des années d’apprentissage, versus un produit ou un service ou même de façon très simpliste, un texte, une image, peu importe, qui aura été généré en quelques secondes, sans effort apparent. Quelle valeur apportez-vous à ce produit versus l’autre » interroge-t-il.
Chanel s’inquiète d’être banalisé
L’usage de l’IA fait alors courir un risque majeur à Chanel. « Là, ça risquerait de nous banaliser. Là, on n’est plus dans le luxe, on aurait quitté notre marché. » Toutes ces réflexions existent chez Chanel. Pour autant, la Maison veut de toute façon bénéficier de l’IA générative. « On veut tous faciliter notre vie au quotidien et faire en sorte qu’on soit plus efficace » reconnaît-il. Mais Chanel veut conserver son identité. « On ne peut pas être efficace au détriment de ce que nous sommes, de notre spécificité et de la protection de nos savoir-faire et de nos connaissances » affirme-t-il.
« On pourrait imaginer supporter certaines tâches de création avec l’IA pour nous augmenter plutôt que pour nous remplacer »
L’IA générative pourra même être employée dans la création. « Peut-être pourquoi pas sur la création. On explore ce genre de choses. Nous avons plein de projets, d’expérimentations de façon à pouvoir comprendre et être dans le mouvement. D’autant plus qu’on est sur un marché qui évolue à une très grande vitesse » reconnaît-il.
Aider l’humain lors du processus de création
Dès lors Chanel n’écarte pas totalement l’usage de l’IA dans la création pour « augmenter » l’humain. « On ne peut pas s’exclure de cela, mais on protège les fondamentaux. Un des points qui est essentiel aussi pour nous, c’est un continuum. On est dans la création, mais en même temps qu’on crée, on fait un prototype, on l’essaye, on continue à créer dans un processus itératif. Si on n’est pas capable de lier l’ensemble des éléments de cette chaîne, ça [l’IA] va peu nous servir » explique-t-il.
Une IA disruptive permettrait de connecter, fabriquer et animer la création d’un prototype ou d’un produit
Nicolas Gauthier insiste sur la nécessite de se différencier car toutes les Maisons auront au final des solutions similaires. « Je suis assez convaincu que nous allons tous avoir les mêmes services. Nous allons mettre en place des plateformes, ce n’est pas très difficile. Nous allons trouver des cas d’usage, ce n’est pas très difficile. Les consultants vont nous aider à faire en sorte qu’on ait tous les mêmes, parce qu’ils vont tous partager les mêmes missions » résume-t-il.
Toutes les entreprises auront les mêmes plateformes
La technologie informatique ne sera pas différenciante. « On ne va pas avoir de différenciation. La vraie différenciation va être dans ce qui fait ce que nous sommes. C’est un métier de création, bien sûr, mais aussi d’excellence opérationnelle. C’est de l’artisanat. C’est la capacité à faire des produits à un niveau d’exception rare » rappelle-t-il.
Et de souligner l’expertise des artisans qui travaillent pour le secteur du luxe. « C’est extrêmement compliqué de faire un sac Chanel, il faut au moins 10 ans de formation pour savoir faire un sac classique. J’ai essayé personnellement, ça n’a rien donné et je comprends à quel point c’est compliqué. Mais la transmission de ce savoir, si l’IA pouvait nous permettre de supporter l’ensemble, serait vraiment quelque chose de disruptif parce qu’on garderait notre ADN » conclut-il.