Centres d’appels transformés en centres de profit : la souffrance des téléopérateurs

La réalité des centres d’appels c’est de devoir duper le client tout en le servant. Cela entraîne de la souffrance chez les téléconseillers et une perte de confiance dans la relation entre le client et le prestataire de services. C’est ce que montre l’ouvrage « Mentir au travail » (PUF) écrit par Duarte Rolo, psychologue clinicien, maître de conférences à l’université Paris-Descartes, interviewé ce matin dans le Point. Il a mené son enquête dans les centres d’appels.

Il montre ainsi que les salariés de ces centres d’appels eux-mêmes souffrent de cet état de fait car ils sont en porte à faux avec leurs valeurs. Ils sont poussés à agir d’une façon qu’ils réprouvent par la hiérarchie, l’organisation du travail et la peur du chômage. Duarte Rolo parle de « souffrance éthique. »


Vente et profit

Les centres d’appels sont devenus des centres de vente et de profit. « Quand on appelle pour un dépannage ou une réclamation, on se voit proposer un nouvel abonnement, une assurance supplémentaire, un autre téléphone« , illustre-t-il.

L’aspect service disparaît devant le profit, et cela mène certains téléconseillers à le vivre comme une atteinte à leur conscience professionnelle. Pour lui, les indicateurs de performance associés à chaque conseiller amènent la relation avec le client à changer de nature.

Il faut alors mentir pour atteindre les objectifs. Les téléconseillers  » vont donc omettre des informations au client pour faciliter la vente, par exemple qu’un branchement sera payant, forcer le placement de produits ou de services dont ils savent à l’avance qu’ils n’auront aucune utilité pour le client, liste le psychologue.


Infantilisation et soumission

Ce processus trouve son point d’orgue avec les challenges. Il s’agit de compétitions durant laquelle certains produits doivent être placés auprès des clients pendant une durée limitée. Le téléconseiller reçoit une récompense souvent d’apparence ludique s’il atteint l’objectif. Reste que cela renforce les contraintes de productivité et génère une forme d’allégeance à l’organisation du travail. Et cela pousse les opérateurs à l’infantilisation, à arrêter de penser sur la nature de leur travail et les moyens employés pour parvenir à ses fins.

Ce détournement de valeurs va à l’encontre de la logique du travail des services, estime Duarte Rolo. « Les clients se rendent compte qu’ils sont trompés, le rapport de confiance  qui pouvait exister entre un client et un prestataire de services s’érode petit à petit, » pointe-t-il.  Au final, cela aura un impact sur le vivre ensemble dans la société, conclut-il, tout en estimant que les managers doivent bien se douter que leur organisation du travail a des répercussions psychiques.

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