Apple libre d’imposer son système de recueil de consentement à la publicité mais pas encore absous


Apple se trouve sérieusement conforté par la décision du 17 mars de l’Autorité de la concurrence. Un bon pour accord a été délivré à Apple qui oblige les développeurs tiers à durcir le recueil du consentement de l’internaute pour utiliser ses données personnelles dans le cadre du ciblage publicitaire.

Apple suscite la colère des professionnels de la publicité

Apple suscite une levée de fourches face à sa décision d’imposer aux développeurs d’applications mobiles son propre dispositif de recueil du consentement des internautes à la réception de publicité. Plusieurs associations représentant les acteurs de la publicité en ligne en France sont montées au créneau. Elles ont saisi l’Autorité de la concurrence en octobre dernier afin d’obtenir le blocage de cette initiative.

Il n’y a pas de nécessité de prendre de mesures conservatoires à l’encontre d’Apple

L’Autorité a publié sa décision le 17 mars. Elle considère qu’il n’y a pas de nécessité de prendre de mesures conservatoires à l’encontre d’Apple mais elle poursuit l’instruction au fond du dossier. Reste que l’Autorité délivre de nombreux satisfecit à Apple et se montre plutôt convaincue par les arguments de la firme à la pomme.


Ce qui était plus particulièrement en cause est l’introduction obligatoire de la sollicitation ATT (App Tracking Transparency) pour les applications sur iOs 14 qui souhaitent effectuer le suivi de l’activité de l’utilisateur sur des sites tiers. L’Autorité de la concurrence estime, à ce stade, que l’introduction de la sollicitation ATT (« App Tracking Transparency ») ne paraît pas traduire de la part d’Apple un abus de position dominante conduisant à imposer des conditions de transactions inéquitables aux développeurs d’applications.

Une enquête toujours en cours


L’Autorité poursuit toutefois l’instruction du dossier au fond pour vérifier qu’Apple ne s’est pas appliqué des règles moins contraignantes qu’aux autres développeurs d’applications. Dans ce cadre, on s’étonne que l’Autorité n’ait pas relevé ce que France Digitale a détecté, c’est à dire qu’Apple positionne par défaut l’accord à la réception de publicité ciblée pour ses propres publicités dans les paramètres d’iOS. Pour rappel, l’Autorité a été saisie le 23 octobre 2020 d’une  saisine présentée par plusieurs associations représentant les différents acteurs de la publicité en ligne, les médias, les régies internet, les agences de publicité, les intermédiaires techniques, les éditeurs de logiciels et les agences de marketing mobile.

Les professionnels contestent les pratiques d’Apple à l’occasion des modifications d’iOS 14

Ces professionnels contestent les pratiques mises en œuvre par Apple à l’occasion des modifications à venir de son système d’exploitation iOS 14. Les associations sont l’Interactive Advertising Bureau (IAB), la Mobile Marketing Association France (MMAF), l’Union des entreprises de conseil et d’achat media (UDECAM) et le Syndicat des Régies Internet (SRI).

L’attitude d’Apple suscite d’ailleurs des critiques en dehors de l’univers des acteurs de la publicité digitale. C’est le cas avec Express VPN, une société qui délivre un logiciel de communication sécurisée sur internet positionné sur la protection de la vie privée. « Apple reste fidèle à sa philosophie d’écosystème fermé. Ce qui est collecté par Apple reste chez Apple » décrit Harold Li, Vice-président d’Express VPN. La stratégie d’Apple semble en opposition avec celles de Google ou de Facebook pour lesquels « la collecte, le traitement et la vente de données à des tiers alimentent une très grande partie du business modèle. »

Des utilisateurs sous le charme

Dès lors, la communication d’Apple a de quoi impressionner les utilisateurs. « Les utilisateurs, encouragés par la communication d’Apple fortement orientée sur l’importance de la vie privée, ont un faux sentiment de sécurité. Il ne faut pas oublier qu’Apple commercialise également des espaces publicitaires au sein de ses services, et utilise donc bel et bien ces données à des fins commerciales » prévient Harold Li.

« La publicité ciblée est activée par défaut dans les paramètres système d’iOs 14« 

« La publicité ciblée est d’ailleurs activée par défaut dans les paramètres système d’iOs 14. Il suffit de jeter un œil aux pages dédiées à la confidentialité d’Apple pour se rendre compte que l’entreprise en sait énormément sur vous,  votre santé physique et mentale, et même votre situation financière » estime le responsable d’Express VPN. « Ces données, collectées depuis de nombreux appareils et accessoires du quotidien, peuvent être accessibles aux tiers sous couvert du consentement de l’utilisateur, ainsi que du respect des règles dictées par Apple » ajoute-t-il.

Express VPN constate que ce n’est pas la première fois qu’Apple se retrouve confronté à ses contradictions sur le sujet des données personnelles. Plusieurs dossiers ont déjà été déposés auprès de l’autorité de la concurrence par le passé, notamment et ironiquement par Facebook, pointe Express VPN. « Chaque utilisation d’un appareil d’Apple, que ce soit un ordinateur ou un smartphone, génère énormément de données. Celles-ci ne disparaissent pas pour autant, et sont tout aussi précieuses et vulnérables que chez les autres » termine Harold Li.

Des mesures proportionnées à l’objectif poursuivi


Le suivi d’activité d’un utilisateur, reposant notamment sur l’IDFA, identifiant propre à Apple, permet de réaliser de la publicité ciblée, laquelle constitue la source de financement d’un grand nombre d’applications ou sites. L’Autorité de la concurrence a examiné si les mesures mises en place par Apple pour renforcer le cadre du consentement de l’utilisateur pour l’utilisation de ses données personnelles pouvaient être regardées comme nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Une entreprise peut fixer des règles d’accès à ses services, sous réserve que ces règles ne soient pas anticoncurrentielles

L’Autorité a bénéficié d’un avis de la Cnil au sujet des questions soulevées. En l’état de l’instruction, l’Autorité estime que la décision d’Apple de mettre en place un dispositif de recueil du consentement complémentaire à celui mis en place par d’autres acteurs de la publicité en ligne, n’apparaît pas comme une pratique abusive. Les raisons ? Une entreprise, même si elle est en situation de position dominante ou peut être regardée comme une plateforme structurante, peut fixer des règles d’accès à ses services, sous réserve que ces règles ne soient pas anticoncurrentielles.

Autre raison, il faut que la réglementation applicable – RGPD et ePrivacy – ne s’oppose pas à la mise en place d’une telle obligation. La formulation retenue par Apple n’apparaît pas comme induisant un biais défavorable aux procédés de suivi sur des sites tiers, ni comme imposant une obligation dépourvue de nécessité ou de proportionnalité. Une telle mesure peut faciliter, pour l’utilisateur, la maîtrise de l’utilisation qui est faite de ses données personnelles, indique l’Autorité.

Reste à savoir si Apple discrimine les éditeurs tiers

L’Autorité veut toutefois vérifier que la mise en place par Apple de la sollicitation ATT ne peut être regardée comme une forme de discrimination ou « self preferencing », ce qui pourrait notamment être le cas si Apple appliquait sans justification, des règles plus contraignantes aux opérateurs tiers que celles qu’il s’applique à lui-même pour des opérations similaires.
 

La mise en place du dispositif App Tracking Transparency a été reportée à fin mars ou début avril 2021

Pour rappel, Apple a annoncé en juin 2020 qu’elle allait mettre en place un dispositif de recueil du consentement de l’utilisateur afin de renforcer la protection des données personnelles de ses utilisateurs. Lors de la conférence du 22 juin 2020 destinée aux développeurs d’applications, Apple a annoncé que, dans le cadre de sa politique de renforcement de la protection de la vie privée de ses clients, elle allait mettre en place, en septembre 2020 un dispositif dénommé ATT pour App Tracking Transparency. La mise en place du dispositif a ensuite été reportée à fin mars 2021 ou début avril 2021.

Ce dispositif consiste, lorsque le détenteur d’un iPhone consulte une application téléchargée via l’App Store, à faire apparaître une fenêtre (« pop-up ») qui demande alors son consentement explicite  pour autoriser le partage de ses données personnelles à des tiers à des fins publicitaires. En cas de consentement, les tiers peuvent accéder à l’Identifier for Advertisers (« IDFA »), qui identifie chaque appareil Apple et permet le suivi publicitaire du détenteur notamment sur les sites tiers.

Un accès durci à l’identifiant IDFA d’Apple

Selon les associations de professionnels de la publicité digitale, en imposant le respect du dispositif ATT aux applications sous iOS, Apple commettrait un abus de position dominante. Les associations reprochent à Apple l’obligation faite aux développeurs d’applications de recourir à la sollicitation ATT pour pouvoir accéder à l’identifiant IDFA. Le recueil d’un consentement via la sollicitation ATT conditionne le suivi publicitaire de l’utilisateur sur les sites tiers, qui permet de lui adresser ensuite des publicités ciblées.

La sollicitation ATT demandée par Apple est redondante selon les associations car il existe déjà le RGPD

Apple aurait imposé, ce faisant, aux développeurs d’applications des conditions de transaction inéquitables, ce qui caractériserait un abus de position dominante prohibé par l’article 102 a) du TFUE. Les associations estiment, d’une part, que la sollicitation ATT est redondante et superflue, car l’obligation de recueil du consentement pèse déjà sur les développeurs d’application en vertu des dispositions du RGPD (UE) 2016/679 et de la directive e-Privacy. Elles considèrent, d’autre part, qu’Apple impose ce faisant des obligations supplémentaires indues aux développeurs d’applications, constitutives là encore d’une violation de l’article 102 d).

Les associations demandaient en conséquence à l’Autorité le prononcé de mesures d’urgence. C’’est à dire d’enjoindre Apple à ne pas exiger, en l’état, l’utilisation de l’ATT  pour obtenir l’autorisation de l’utilisateur pour son suivi publicitaire. Et d’enjoindre Apple à engager un dialogue constructif avec les acteurs du secteur afin de trouver une solution acceptable pour obtenir l’autorisation de l’utilisateur pour son suivi publicitaire.

Absence d’atteinte grave et immédiate aux plaignants

Pour l’Autorité de la concurrence, les faits dénoncés n’apparaissent pas susceptibles, en l’état des éléments produits aux débats, de constituer un abus de position dominante. Elle ne prononce des mesures conservatoires que si les pratiques dénoncées sont susceptibles de méconnaître le droit de la concurrence et en cas  d’atteinte grave et immédiate à l’économie générale, au secteur, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante.

Les débats organisés lors de la séance du 10 février 2021 ont permis aux parties prenantes de faire valoir leur position

L’Autorité déclare avoir mené une enquête étendue en procédure d’urgence, en auditionnant de nombreux professionnels représentatifs des différents métiers de la publicité en ligne. Puis, les débats, lors de la séance du 10 février 2021, ont permis à chacune des parties prenantes de faire valoir sa position et d’enrichir les éléments recueillis lors de l’instruction.

L’Autorité estime que l’introduction de la sollicitation ATT ne paraît pas traduire de la part d’Apple un abus de position dominante conduisant à imposer des conditions de transactions inéquitables. Pour l’Autorité, la sollicitation ATT s’inscrit dans la stratégie mise en œuvre par Apple en matière de protection de la vie privée et n’apparaît pas comme dépourvue de nécessité, d’objectivité et de proportionnalité.

Une démarche cohérente d’Apple a priori

L’Autorité considère que l’introduction de la sollicitation ATT s’inscrit dans la stratégie d’Apple mise en place de longue date en matière de protection de la vie privée des utilisateurs des produits iOS. Elle déclare qu’une telle initiative s’inscrit dans le cadre de la marge d’appréciation dont dispose toute entreprise pour déterminer sa stratégie technique ou commerciale, vis-à-vis de ses partenaires commerciaux, ou fixer des règles d’usage, y compris si cette entreprise dispose d’une position dominante ou peut être regardée comme une plateforme structurante.

Le format et le libellé définis par Apple peuvent contribuer à la bonne information des utilisateurs

L’Autorité pense que la mise en place d’un cadre formalisé obligatoire, selon le format et le libellé définis par Apple, peut contribuer à la bonne information des utilisateurs. L’Autorité délivre d’autres bons points à Apple. L’obligation de recueillir la sollicitation ATT n’a pas été mise en place immédiatement par Apple puisque sa date d’effet a été reportée à mars-avril 2021 et que Apple ménage certaines possibilités d’adaptation pour les développeurs d’applications. Ceux-ci ont notamment la main sur la phrase définissant, dans la fenêtre ATT, l’objet du suivi de données personnelles réalisées sur les sites tiers.

Les développeurs ont la possibilité de différer le déclenchement de la sollicitation ATT, en s’abstenant pendant cette période d’utiliser l’IDFA, pour réaliser un suivi d’activité sur sites tiers. Ils ont, enfin, la possibilité d’adresser deux fenêtres à l’utilisateur, avant et après l’apparition de la sollicitation ATT, afin d’expliquer la nécessité pour eux de pouvoir réaliser ce suivi d’activité par exemple pour pouvoir financer l’application ou le service offert, et de convaincre l’utilisateur de revenir sur un refus de suivi par exemple.

Examen de l’existence d’un traitement différencié entre Apple et les éditeurs tiers

Dans la prochaine étape, l’existence d’un traitement différencié sera examinée plus avant dans le cadre du dossier au fond. L’Autorité estime à ce stade que l’imposition de la sollicitation ATT par Apple n’impose pas aux acteurs souhaitant accéder à l’IDFA un traitement plus rigoureux que celui qu’il s’appliquerait à lui-même pour des traitements similaires.

L’instruction au fond doit permettra toutefois de s’assurer que ce traitement ne constitue pas une pratique anticoncurrentielle, notamment en ce qu’il traduirait de la part d’Apple une forme de discrimination.

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